Pages

mercredi 7 novembre 2012

Un manuel de sociologie


Nouveau manuel de sociologie (Armand Colin). 250 pages pas trop difficiles à lire.
Livre collectif dirigé par François de Singly, Christophe Giraud et Olivier Martin. Il appuie ses théories  sur l'expérience ordinaire des gens dans une situation donnée.
Il part d'un énoncé simple (J'allaite mon enfant, Je vais au musée, Je sèche les cours). Le but est de mêler plus étroitement l'enquête de terrain et les cours de théorie.
Mais d'abord, le sociologue doit avoir une trousse à outil, une méthode. Il s'agit d'éviter la position de surplomb où il sait toujours mieux que les individus eux-mêmes ce qu'ils font et les raisons pour lesquelles ils le font.
La sociologie permet de comprendre l'écart entre les normes sociales et le comportement des individus. Les individus résistent non parce qu'ils sont ignorants mais parce qu'ils ont de bonnes raisons d'agir autrement.

Le risque pour le sociologue est d'observer la scène avec ses "lunettes naturelles", produit de son histoire, de son milieu et ses préjugés, qui faussent le résultat de l'enquête. Les auteurs proposent 3 types de point de vue.
- s'attacher aux déterminants sociaux des gens (ex: comparer la réussite scolaire et l'origine sociale).
- s'attacher au monde subjectif des gens, comprendre les motivations de leurs actes, ce qu'ils ont éprouvé, comment ils rationalisent leur comportement.
- s'attacher aux processus (ex: observer la vie dans un bar)

Une question divise les écoles de sociologie: le sociologue a-t-il un point de vue scientifique, détaché, sur la réalité observée ou sa présence transforme-t-elle cette réalité, notamment parce qu'en ayant une fonction de dévoilement (ex: Bourdieu et les héritiers), il peut se mettre du coté des dominés, voire s'engager ? Les auteurs répondent-ils à cette question ? Je ne m'en souviens plus, lisez le livre...
Le sociologue se sert de variables, soit qualitatives, soit quantitatives, le sexe, l'âge, le milieu social, sont des variables incontournables, les CSP (catégories socio-professionnelles) en sont d'autres. Les variables permettent de montrer des ressemblances, les différences à l'intérieur même de ces ressemblances. Et ainsi de mesurer, de saisir, une partie de la réalité sociale.
Il a à sa disposition des techniques d'enquête (qui/quoi/comment) au choix:
- le questionnaire
- l'entretien
- l'observation 

La grille d'observation (p.49) m'a plu par son coté obsessionnel, j'ai pensé très fort à Georges Pérec, à son cahier des charges de La vie mode d'emploi, ainsi que sa Tentative d'épuisement d'un lieu parisien.
Les chapitres suivants abordent d'ailleurs le langage à utiliser pour décrire. L'enquêteur doit respecter une grammaire de l'enquête, rechercher le concret et refuser le général, adopter le passé composé, et ensuite le mêler à son discours théorique.

Mais la sociologie, à quoi ça sert ? Elle permet de comprendre comment les normes sont adoptées et adaptées par les individus. Exemple concret d'une utilité de la sociologie, comprendre pourquoi le bronzage perdure sur les plages malgré le coût sanitaire des cancers cutanés. Et comment améliorer la situation.

Le dernier chapitre de cette présentation nous propose une satire de la discipline sous la plume de François Dubet.

Les 16 cas pratiques sont répartis sur trois thèmes intitulés Perspectives du milieu social, Perspective du genre et Perspective âge et génération.
Quelques notes, pour mémoire.
-La première enquête s'intéresse à la notion de classe sociale et montre comment le refus chevillé au corps de se définir comme ouvrier signale un éclatement de la classe ouvrière.
-Le pavillon ou vivre comme tout le monde, une image négative, celle du pavillonnaire, qui se renverse, invention d'une nouvelle catégorie: les "petits-moyens". J'ai pensé à un roman méconnu de Simenon qui se passe dans un lotissement (je vais retrouver le nom...).
-L'AG. Observation de l'heure, du lieu, des gens, de leurs actes, le brouhaha léger mais constant, le rituel collectif de la manif, et le savoir faire des syndicalistes chevronnés.
-L'assisté (RMI), le sentiment d'être un parasite, le vécu de l'humiliation, l'autonomie étant devenue la norme qui s'applique à tous les individus, l'intériorisation du regard d'autrui, se voir assimiler à une partie de la société -le clochard- dans laquelle on ne se reconnaît pas, connaître les ressorts du système et avoir appris son rôle, construction d'un statut de victime ou acceptation d'un handicap.
-Allaiter. Pratique sociale et normée. Le lien entre le milieu social et l'allaitement: ce sont les femmes situées le plus haut sur l'échelle sociale qui allaitent, p.141 lien entre diplôme et allaitement, celles qui cherchent le savoir dans les livres, et celles, situées plus bas sur l'échelle sociale, qui ont plus d'expérience (familles nombreuses) et sont donc moins perméables aux normes modernes de puériculture.
-Le musée. La timidité culturelle, analyser l'engagement subjectif dans la visite. Bourdieu: je me rends au musée pour rendre visible le niveau élevé de mes ressources culturelles et pour ainsi  me distinguer de ceux et celles qui n'y vont pas. Que l'on peut transformer en -petit exercice de lucidité-  je tiens un blog sur les bouquins savants que je lis pour me la péter, pour me distinguer de ceux qui regardent Koh Lanta...
-Celle qui dit : je suis une salope. Le dominant et la violence symbolique. Renverser le stigmate. Le stigmate formule le rapport à la norme. Désamorcer l'insulte et vider le stigmate de sa substance.
-La double journée des femmes. Enquête sur les inégalités domestiques, la répartition des tâches dans le couple.
-La femme ingénieure. Intériorisation des valeurs de modestie, discrétion, d'attention aux autres qui bloquent. L'acteur dupé, l'agent stratège, l'acteur mobilisé. Le plafond de verre. Importance de la complicité forte avec la mère pour la femme ingénieure.
-Force mentale des conducteurs de bus. Le refus du je serait une des stratégies de grandissement de l'auteur (à propos de l'auteur de l'enquête, qui contrairement aux autres enquêtes dit je ). Virilité populaire et engagement dans le travail. Baisser son froc et masculinité. La force c'est l'aptitude à rester zen.
-La radio des jeunes. Style de vêtements, 241. Je commence à comprendre le pourquoi de ces pantalons bizarres, dit "baggy".
-Le jeune malpoli. Les établis, les marginaux. Le sentiment que l'incivilité augmente. Les jeunes refuseraient le statut de marginaux que les adultes entendent leur attribuer. Le sentiment global que les marginaux possèdent une capacité à construire ou à entretenir des réseaux de solidarité, de jouir d'une cohésion qui leur fait défaut.
En relisant toutes ces notes, je me rends compte qu'on peut s'identifier à beaucoup de situations, et que cela tisse une espèce de réseau qui permet de mieux comprendre la société dans laquelle on vit, et ce qu'on peut éprouver, le rôle qu'on joue parfois à l'insu de nous-même. Et je me pose la question de la place de la littérature par-rapport à la sociologie. On regarde la société d'un oeil plus lucide. Jusqu'à ce qu'on ait oublié.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire