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jeudi 18 avril 2013

Josef Schovanec, dans la tête d'une personne avec autisme

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Je suis à l'est, Josef Schovanec, Plon, 245 pages.
La première fois que j'ai vu Josef Schovanec, c'était dans un documentaire sur l'autisme, l'an dernier. Avec d'autres, il témoignait face caméra. Une élocution un peu bizarre, un maintien un peu raide, les épaules serrées à l'horizontale, l'homme apparaissait singulier. Il le dit lui-même: « Je parle en idiot.»
On peut réécouter le beau témoignage de Josef Schovanec dans l'émission La tête au carré sur France inter: Savant et autiste.

J'ai aimé les pages où Josef Schovanec parle de son addiction aux bibliothèques, aux livres, où je me suis reconnu, à un degré moindre. Ce qu'il appelle sa "toxicomanie":
« Quand je n'allais pas en cours, je fréquentais les bibliothèques. A ma manière. Au tout début, l'impressionnant stock de livres de mes parents, puis les bibliothèques municipales.
Mes expéditions avaient sans doute quelque chose de pittoresque dont je ne me rendais pas compte. Je pouvais rester assis longtemps dans un recoin de la bibliothèque, quand il n'était pas trop bruyant, généralement dans les rayons désertés car jugés inintéressants par les autres lecteurs. Je pouvais lire tous les bouquins d'un même rayon ou d'un même auteur, les uns après les autres. Ou relire en boucle un même livre.
J'étais un gros consommateur. Deux, trois, quatre doses par jour. Le produit était transporté dans de volumineux sacs à dos, un devant, un derrière, d'autres parfois tenus à la main. Dans le jargon spécialisé, j'étais à la fois mule et consommateur. Mes parents avaient réusssi à négocier avec les bibliothécaires pour que je puisse dépasser les plafonds de prêt en terme de nombre de bouquins. De même au CDI du collège, où la bibliothécaire m'avait elle-même proposé quelques arrangements. Elle devait être heureuse que quelqu'un aime son CDI, généralement désert. Et elle avait vu que je rendais les livres en temps et en heure, donc elle n'avait pas d'inquiétude à se faire. Pour moi, un excellent souvenir.
Comme pour toute toxicomanie, il y eut des moments pénibles. Avant d'accéder aux joies du CDI du collège, je pouvais profiter des livres, certes en nombre plus restreint, disponibles dans un coin des salles de classe de primaire. Jusqu'à y passer le plus clair de mon temps. Quand la maîtresse craquait et m'intimait l'ordre de regagner mon siège, parfois je poursuivais le vice caché sous la table. Plus d'une fois je fus surpris. Et un jour, la prof, me surprenant, le fut  à son  tour, en découvrant que le livre caché était un manuel de politesse. »
Les parents de Josef espèrent en une socialisation, malgré les premières années difficiles, où l'élocution de l'enfant le rend difficile à comprendre par les autres. Sa scolarité est une description de l'enfer. C'est un enfant au comportement stéréotypé, qui a une démarche étrange et des intérêts qui ne sont pas de son âge, capable de réciter la liste des noms d'étoiles ou celles des souverains de l'Égypte ancienne. Il est à l'écart des autres, on se moque de ce garçon qui prend tout au sérieux. Le parcours habituel de la tête de turc.  Josef Schovanec décrit ce qu'il a vécu sans aigreur, avec une distance ironique, comme un apprentissage de la vie.

Comme le jeune homme a d'excellents résultats à l'école, sans vraiment travailler, il finit à Science Po. On fera le parallèle entre ce profil de l'autiste Asperger et celui du surdoué qui souffre lui aussi de problèmes de socialisation, d'ailleurs  Josef Schovanec fréquente un temps les Mensa. Cela fait partie aussi de la fascination du grand public pour ce genre d'autisme, comme des super pouvoirs, qui se paient au prix fort et par une très grande solitude.

Son parcours de socialisation ressemble à une fuite en avant.  Josef Schovanec est obligé de consulter. Pendant de nombreuses années, il navigue entre trois psychiatres et des cocktails de molécules qui s'accumulent et le transforme en zombie. Il passe de 57 kgs à 115 kgs. Sa description tragi-comique de ses déboires avec les médecins de l'esprit est presque trop courte. Cela fait peur et incite à la méfiance. On espère que ces anciens médecins l'ont lu et sont capables d'autocritiques.
Diagnostiqué Asperger en 2007, il bénéficie au-moment de l'écriture du livre d'un emploi adapté, mais précaire, à la mairie de Paris. Celui qui l'a recruté est aveugle.
J'ai trouvé cette "biographie" très intéressante, car  Josef Schovanec a un vécu qui sort du commun. Il y a bien sûr les limites inhérentes à tout exercice d'autofiction. Malgré tous ses efforts, son humour et sa distance, il y a toujours une dimension "règlement de compte avec le réel et les gens" assez logique, compte tenu du handicap visible de l'auteur. Moi-même, saurai-je sur quel pied danser face à une personnalité aussi atypique, ce qu'il faut dire, ne pas dire ?

Heureusement Josef Schovanec élargit à d'autres sujets, comme son goût pour les langues, le rapport à la normalité et des pages très intéressantes sur la souffrance à la toute fin du livre:
La question de la souffrance pourrait être disjointe  de bien des thématiques liées à l'autisme;  en d'autres  termes, l'hypothétique  cessation  de la souffrance, pour reprendre  l'expression des bouddhistes,  ne résoudrait probablement qu'une fraction  des autres problématiques. Pour le dire autrement : supposons  que je souffre beaucoup; si vous arrivez  à lever ma souffrance,  est-ce-que cela changera  réellement  quelque chose pour moi au niveau de mes structures de fonctionnement, de mes particularités,  autistiques  ou autres  ?
Je me rends compte que c'est la troisième personne autiste que je lis. Je me souviens il y a quelques années des deux livres de Temple Grandin, elle tentait de faire comprendre son extraordinaire capacité de visualisation (Penser en images, titre de son deuxième livre). Et l'an dernier, les livres de Daniel Tammet, un gars capable d'apprendre l'islandais en une semaine, un truc de Clark Kent du mental....Pour finir, ce passage sur Amartya Sen, cité par Jean-Claude Ameisen qui signe la préface du livre:
Dans ldentité et violence,  l'illusion d'une destinée, Amartya Sen développe  une réflexion sur le risque d'enfermement des personnes dans  l'une de leurs identités . Nous avons tous, dit Sen, des identités multiples  et changeantes,  au cours  de notre existence et en fonction de nos relations -  identités familiale,  professionnelle,  culturelle,  biologique, philosophique,  régionale,  spirituelle... Et la tentation d'enfermer des personnes,  ou de les laisser s'enfermer,  dans l'une de ces multiples identités  comme si c'était la seule constitue pour Sen la source  majeure de discrimination et de violence dans  le monde. Une personne  dit-il, est toujours plus, toujours autre, que ce qu'on peut  -  et que ce qu'elle peut elle-même  -  appréhender.  Et c'est cette part essentielle,  qui échappe à toute description,  qui fait de chaque personne à la fois une personne à nulle autre pareille et l'égale de toutes les autres.

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