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dimanche 30 juin 2013

Trône de fer, fureur médiévale


Emilia Clarke prête ses traits à
 Daenerys Targaryen qui deviendra la Khaleesi,
mother of the dragons. 
Fantasy
Le Trône de fer, tome 1, de Georges R.R. Martin. Éditions Pygmalion, traduit par Jean Sola. (1996)
Pur plaisir fictionnel, celui du roman-feuilleton qui se lit sans faim.  Je me plonge dans de monde-là pour me rafraîchir la mémoire, avant d'attaquer le visionnage de la troisième saison. Arrivé à la fin, je sais que je vais continuer, mais pas tout de suite, on risque l'indigestion...

Mise à jour, 18-04-2014, la critique du deuxième tome: Le sang, le feu et la mort, suite du Trône de fer

Un univers est planté et on entre dedans. Chaque chapitre est donné par le nom d'un personnage que l'on suit et qui donne l'unité d'action.
 L'univers est un moyen-age fantasmé, avec des tournois, des histoires de familles, de longues traversées à cheval ou en bâteau, des châteaux à l'architecture compliquée, un roi soudard, des courtisans. Le froid tue, les forêts sont dangereuses, on utilise le lait de pavot comme anesthésiant. La langue est charnue et métaphorique, elle donne du relief et de la vie aux choses décrites. Les lieux sont dotés d'une âme, les épées portent un nom.

On pense évidemment à la série tv et on est frappé par le soin des producteurs pour rendre pour rendre l'univers du roman, les décors et les personnages. En lisant, j'ai tendance à superposer le visage des acteurs aux personnages.  Et surtout Tyrion Lannister, le nain, qui apparaît page 60. Peter Dinklage n'est pas aussi laid que le personnage décrit, mais son talent rend bien l'intelligence mordante du personnage:

 ...Tyrion.  Le  Lutin.  Hideux benjamin  de  cette  brillante  couvée.  Autant  les  dieux  s’étaient montrés prodigues envers ses aînés, autant ils l’avaient, lui, mis à la portion congrue. Nabot, il n’arrivait pas à la ceinture de ser Jaime et, pour conserver l’allure, devait désespérément tricoter de  ses  jambes  torses.  Outre  un  crâne  démesuré,  il  avait  un faciès écrabouillé de brute qu’empirait la saillie monstrueuse du front.  En  dégoulinait  une  tignasse  raide,  filasse  au  point  de paraître blanche, et entre les mèches de laquelle vous scrutaient si  méchamment  des  yeux  dépareillés,  l’un  vert  et  l’autre  noir, que Jon demeura médusé.
Jon et Tyrion vont apprendre à se connaître, et l'amitié bizarre qui se crée entre ces deux êtres mal aimés est le rapport psychologique qui a le plus de force dans le roman.

Games of Thrones a fait beaucoup parler d'elle sur les réseaux sociaux. En effet, certaines péripéties de l'épisode 9 (saison 3) ont déclenché des réactions de colère des fans.
« Ils n'ont qu'à me lire, aurait-dit l'auteur, ils ne seraient pas surpris ». Par-ailleurs, dans cet article passionnant paru dans Rue 89, on apprend que les fans des romans ont eu aussi des réactions démesurées ( «Il est vieux, il va mourir avant d'écrire la fin», sympathique...) au cours des années 2000 à propos de l'auteur qui mettait trop de temps à leur goût pour publier la suite de la saga. Cela rappelle Conan Doyle obligé de ressusciter Sherlock Holmes.  C'est dire si la série est addictive, sur le papier, comme sur les écrans (la plus piratée).

La série télé est très fidèle au roman. Peut-être que ma mémoire me joue des tours, ça fait trois ans que j'ai vu la saison 1, mais il me semble que le scenario colle à l'histoire. Le livre est néanmoins supérieur sur quelques aspects, où le cinéma ne peut pas rivaliser, par manque de moyens.
C'est notamment le cas des loups-garous. Au tout début du roman, la famille Stark nous est présentée au moment où ils trouvent une louve morte (A demi ensevelie dans la neige maculée de sang, une énorme masse sombre gisait, terrassée par la mort. (...) Un loup-garou. C'est plus gros que les autres, adultes. Mais ça fait deux cents ans, protesta Greyjoy, qu'on n'en a pas repéré au sud du mur.)
 L'emblème de la famille étant le loup-garou, le bâtard Jon Snow convainc son père d'en donner un à chacun.
«Ils sont cinq en tout: trois mâles et deux femelles (...) vous avez cinq enfants légitimes: trois garçons, deux filles, et le loup-garou est l'emblème de votre maison. Vos cinq enfants sont tout désignés pour recevoir chacun le sien, messire.»
Et Snow, in extremis, sauve un sixième chiot, albinos aux yeux rouges, qui sera le sien sous le nom de Fantôme. Dans la série télé, on voit à peine les gros loups...Les producteurs ont sans doute concentré leurs moyens sur les dragons...

Autre cas, l'ascension de Lady Catelyn vers l'endroit où s'est réfugiée sa sœur, quand elle passe les étapes de plus en plus difficiles de Pierre, Neige, puis Ciel, vers des hauteurs qui semblent inexpugnables: les Eyrié. Là, Martin prend son temps pour nous faire bien sentir la force du paysage.
Pas la peine de résumer l'histoire, vu le succès, la matière doit abonder sur la toile. Le wiki: La Garde de nuit.
Un blog sur les séries qui en parle, il compare aussi les bouquins et la série.
En conclusion, je ne regrette pas de m'être plongé dans ce fracas médiéval où le sang coule bien rouge. Je n'arrive pas à savoir si la série et les livres sont de la même force. Je crois plutôt que les deux se complètent idéalement. Et c'est peut-être unique dans l'histoire du livre et de la fiction audiovisuelle, qu'il s'agisse de cinéma ou de série télé. Comme l'écrit NilsetBenjamin
« Si Game of Thrones s'est révélé à la fois une réussite et un succès public majeur, c'est peut-être pour cela: pour être parvenu à allier le meilleur des deux mondes, et à satisfaire à la fois les amateurs de fantasy, d'aventures épiques et d'intrigues politiques complexes dans un univers médiéval-fantastique, et les amateurs de séries télévisées, avec leur dramaturgie particulière, leurs rythmiques, leurs jeux de correspondance entre les séquences et le dialogue que la proximité de ces mêmes séquences instaurent entre les différents arcs, l'affect un peu différent que l'on ressent pour un personnage incarné devant nous, par rapport aux créations de notre imagination que deviennent forcément les personnages de romans lorsqu'ils quittent les mots de leurs créateurs pour s'inscrire dans nos esprits. » Source

dimanche 23 juin 2013

La société en flux tendu: La chaîne invisible de Jean-Pierre Durand

Sociologie

 La chaîne invisible, travailler aujourd'hui: flux tendu et servitude volontaire. (Seuil), de Jean-Pierre Durand. 
En lisant le livre du sociologue Jean-Pierre Durand, La chaîne invisible, on a l'impression d'avoir une vision augmentée sur la réalité qui nous entoure.

Tout commence dans le Japon de l'après-guerre. T. Ohno, ingénieur chez Toyota, invente le "juste à temps". On ne fait plus de stocks (l'espace est restreint sur les îles japonaises). Les hommes, la matière, l'information, circulent dans un vaste mouvement continu. Cela accroît la productivité globale, car il n'y a plus de matière immobilisée, plus de coût de stockage et de manutention. Le capital circule toujours plus vite.

Le "juste à temps" arrive dans les années 70 en Occident, en pleine crise de l'accumulation. Fini le temps où on pouvait fabriquer et stocker car tout se vendait. L'auteur note qu'en France, le flux tendu s'impose en douceur, sans débats (contrairement à d'autres pays), il est vécu comme un changement inéluctable.

Pourquoi est-ce efficace ?
Le système paraît fragile de prime abord: le flux tendu est un mouvement vulnérable car toute panne, tout aléa, rompt ce mouvement. Cette vulnérabilité lui confère toute sa puissance car elle impose une mobilisation de tous les instants des salariés soumis à sa logique. Il crée de l'autodiscipline ou implication contrainte.
Dans les entreprises, on réorganise les métiers vers plus de polyvalence. Les ouvriers expérimentés sont déstabilisés car ils sont obligés de partager un savoir-faire qui leur donnait du prestige. On organise une rotation des postes qui fait entretenir la dextérité et accroît la "remplaçabilité" des salariés. Les pièces usées ou fragiles sont changées préventivement, selon des statistiques rigoureuses. Quand un travailleur se détache du lot, il est promu "team leader", et consacre son énergie à motiver le groupe et à servir de modèle. Pour Jean-Pierre Durand, la fonction de "team leader" est le fondement de la haute productivité des firmes japonaises.
La révolution japonaise a généralisé l'évaluation individuelle. On se met à parler de potentiels à développer, de "portefeuille de compétences".
Les salariés sont maintenant évalués suivant un nouveau modèle.

Ce chapitre (le 3) est passionnant, car l'auteur montre les questions d'éthique qui se posent. Que juge-t-on: un savoir-faire ou un savoir-être ?
Dans le système capitaliste, l'employeur n'était censé acheter que le temps de travail du salarié. Désormais, les compétences relevant du domaine privé, l'achat de la personnalité se retrouve confondu avec l'achat du temps de travail. L'individu est davantage évalué que son travail lui-même. On met à disposition de l'employeur la subjectivité de l'employé. Ce sont des débats qui opposent syndicats et patronat à la fin des années 90 en France (p.124, la CGC: ...l'organisation syndicale doit veiller à ce que l'appréciation porte bien sur l'activité de travail et non sur l'individu lui-même). Mais de toute façon, le mouvement est en cours: dans les guides préparés par les DRH, on évalue l'initiative, la disponibilité et la sociabilité, c'est à dire les comportements.
« Le contrôle social sur les activités perdure, même s'il prend d'autres formes plus douces (à travers le travail en groupe et la responsabilité collective), même s'il se déroule plus en amont à partir d'objectifs fixés-négociés. Plus encore, en imposant une norme comportementale et en contrôlant son respect à travers l'évaluation individuelle, les directions prouvent leur pouvoir sur les salariés, c'est-à-dire la relation inégalitaire qu'elles sont chargés de perpétuer, à travers de nouvelles formes dont le modèle de compétence n'est pas le moindre. Ce modèle vise à s'assurer, à travers l'évaluation de la loyauté des salariés vis-à-vis de l'entreprise, qu'ils ont intégré le paradigme de flux tendu avec ses obligations de disponibilités physique, intellectuelle et temporelle. Il s'agit de mettre à disposition gratuitement les savoirs et les savoir-faire acquis et entretenus (exemple: les réseaux p.43) tout au long de la carrière professionnelle. » (p.127). 

Avec le flux tendu et l'implication contrainte,  la manière de travailler est bouleversée: files d'attente aux caisses des supermarchés, dans la restauration rapide, flux tendu des appels en attente dans les Centres d'appel, conflit éthique entre le vite et le bien, ces situations concrètes observables dans notre vie quotidienne obéissent à une volonté de fragiliser la chaîne pour pousser les salariés au zéro faute.

L'hôtesse (de caisse), par sa recherche systématique de rapidité et de transaction minimale, tend à s'identifier à un automate dans sa relation au client: répétitivité des gestes, rejet des demandes atypiques, artificialité des dialogues et dépersonnalisation de la relation. Sans cesse, les mêmes gestes sont répétés, les mêmes paroles sont prononcées. Une certaine standardisation des mouvements se met en place. Cela est encore plus important quand il y a du monde, car l'hôtesse doit être rapide. Tout ceci pourrait s'interpréter comme un véritable souci de l'hôtesse à se désincarner: elle se déleste des attributs pouvant trahir son humanité et acquiert des automatismes susceptibles de la ramener dans le giron protecteur de la machine. La caissière entre dans un cercle vicieux: son attitude impersonnelle et déshumanisée, sa quasi-absence mentale et affective dans la relation avec le client peuvent amener ce dernier, se sentant anonyme ou traité comme un objet, à développer une attitude agressive. (p.149)
Il y a aussi un transfert de la charge du travail vers le client: remplir son caddie, ne pas avoir besoin d'un vendeur signifie une réduction des temps morts. Tout est devenu prévisible dans une grande surface, des comportements des clients à leur achat.
 Le modèle extrême (qualifié de totalitaire) est celui de Macdonald. Et récemment, on a vu le modèle d'Amazon décrypté: En amazonie.

Quand le travail est intellectuel, l'agenda partagé et le téléphone mobile organisent une visibilité généralisée: le contrôle est intériorisé par le salarié. Ces nouveaux outils sont les emblèmes d'une autre révolution qui s'ajoute aux nouvelles techniques managériales du flux tendu: celle des technologies de l'information et de la communication (TIC). L'informatique densifie le temps. Dans les usines, les logiciels de modélisation évitent la soufflerie. On constitue d'énormes bases de données qui évitent les essais multiples. Le traitement de l'information est automatisé. Dans les bureaux, le groupware organise le travail en groupe des collaborateurs à partir des exigences de chacun d'entre eux et d'un coordinateur. (p.33)
La plupart des services relèvent de cette confrontation à l'usure du temps

Et dans notre société de service où l'on manque de temps,  internet devient une prothèse à la communication sociale et les systèmes informationnels modernes des substituts à l'activité créatrice de l'esprit.
Dilemme : je ne peux pas synthétiser toutes les notes que j'ai pris et je désespère de rendre la richesse de ce livre. Le billet est déjà assez long.
Ce qui m'a passionné : 
L'articulation entre histoire contemporaine, théorie et réel. C'est le monde qui s'est construit depuis en gros ma date de naissance (1973).  On retrouve notre vie quotidienne dans ce livre. Notre regard est dessillé.  J'ai commencé le billet par les employés que je voyais fumer à coté de leur lieu de travail, mais je retrouve d'autres items: les sociétés de conseil «L'information est la reine des marchandises dans notre système capitaliste, car sa valeur d'usage diminue avec le temps qui passe.» (p.227).

                                           Obsolescence de l'information:        
Si l'on peut partager l'ensemble de cette définition de l'échange informationnel, il y manque une caractéristique essentielle, à savoir l'obsolescence rapide de l'information. Ce qui en fait la reine des marchandises dans notre système capitaliste: la valeur d'usage de l'information diminue avec le temps qui passe.  Chaque jour le journal reparaît , les journaux télévisés ou radiophoniques se répètent plusieurs fois par jour avec des contenus différents. Ailleurs, les logiciels doivent sans cesse être mis à jour; les fichiers des consommateurs ou les enquêtes de motivation s'enrichissent en permanence, rendant caduques les versions précédentes. L'expertise des techniciens-dépanneurs s'accroît en permanence, interdisant à l'utilisateur final de se débrouiller seul avec un matériel -ou un logiciel- en évolution continue. 

Décrypter la société, cela veut aussi dire aller contre certains thèmes facilement exploités par les médias à cause de l'émotion qu'ils suscitent, exemple le harcèlement moral. Le sociologue rationalise le problème.
Les pervers sont au fond minoritaires. Par contre, la fragmentation du marché du travail correspondant à la généralisation du modèle cœur/ périphérie dans le système d'emploi accroît d'autant la mobilisation des salariés qui doivent faire leurs preuves en permanence. Voici le fondement structurel de la croissance du stress au travail et des raisons de l'émergence juridique en France de la notion de harcèlement moral. Ici, le tour de passe-passe mérite d'être souligné: tandis que le stress doit être défini comme la conséquence d'un manque de moyens humains et matériels pour atteindre des objectifs fixés par le management « la perte du pouvoir d'agir face à la contrainte», le problème est individualisé et psychologisé pour masquer sa nature sociale et la responsabilité de l'entreprise. p.371
C'est une description précise, sans parti pris, du système du flux tendu. C'est ce qui fait toute la force de ce livre.

dimanche 9 juin 2013

Les temps faibles de Depardon


Lire Errance, de Depardon (points seuil, 2000). Sa plume, ses photos, il y a une identité Depardon, une cohérence. Méditations errantes. L’œil se perd dans les images. C'est un livre de poche, chez point Seuil, qu'on lit deux fois. La première, on se concentre sur le texte, puis on revient aux photos.
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Portions de routes vides, coins désolés dans le désert, images verticales sur lesquelles pèsent des ciels irradiants, goudrons dégradés, bitumes brisés. Ombres allongées, personnages solitaires en mouvement, surpris dans leur vie de pauvreté. Aridité générale (Je suis un photographe sec, dit-il), lignes caillouteuses, monde de mers asséchées, revêtements de sols fracturés, défoncés, rues désertes à la banalité effrayante, toute une succession de ce qu'il appelle des temps faibles, par opposition à temps forts.
Ce questionnement qui est celui d'Errance, ces retours sur le passé, la ferme du Garets, la solitude du jeune provincial monté à Paris, c'est celui du grand artiste qu'il est. C'est un message qui circule, une vie d'homme qui témoigne sur son temps.
Depardon n'est pas qu'un simple photographe, un cinéaste documentaliste prisé par les journaux culturels, un auteur aux phrases simples et mélancoliques, c'est aussi quelqu'un qui a l'idée de photographier ce que les autres ne photographient pas, il ouvre des pistes, il donne des autorisations.

Dans notre monde ultra connecté et technophile, c'est quelqu'un qui s'intéresse à des mondes qui disparaissent, les paysans dans la diagonale du vide, ces vieux visages ravinés qu'il va immortaliser, et ces paysages sans qualité ni indication géographique. Et ce livre est une charnière, il le dit lui-même, l'errance l'a changé. C'est après qu'il ira à la rencontre des paysans, puis à la rencontre de la France.

 Depardon est un des plus grands artistes actuels, et j'ai l'impression qu'on ne le sait pas assez, que seuls les happy few le savent. Pourtant, quel art accessible. Et en train de se faire.

Phrases volées:

Je suis enfin libéré, j'avance vers autre chose, et l'errance est le passage.

J'ai vu des paysages, des lumières, qui aujourd'hui commencent à m'obséder.
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La quête du lieu acceptable. L'anti-voyage.

J'ai ma façon de photographier, ma distance.

Ce sont des images arrêtées d'un film imaginaire qui aurait pu se faire.

Dans un voyage, on évolue, on change, on se transforme. Et souvent, on rentre et tout est annulé par le retour.

Ou alors au contraire, d'emmener cette femme avec moi, voyager ensemble dans le monde entier et vivre une histoire d'amour. 

Je fais des photos que souvent je ne peux pas recommencer. Parce que dans le trajet, la déambulation, il y a une photo qu'on voit magnifique que l'on ne peut pas refaire.

Photographier des temps faibles. Rechercher le mot juste, l'image juste.

Roland Barthes: les mots que l'on place en regard d'une image ne peuvent qu'être ancrage ou relais.

On me reproche cette banalité, cette obsession de ne pas montrer le pittoresque.

Le réel est tellement éphémère, c'est quelque chose qui ne peut jamais nous rassurer.

On voit que le monde s'uniformise de plus en plus, on voit que les gens construisent n'importe comment, qu'ils polluent beaucoup de choses, on voit le monde tel qu'il est.

Je crois que j'étais amoureux d'une image, d'une personne qui n'existait pas.

Dans l'errance, j'ai été heureux, parce que je n'avais pas de preuve à apporter.

Le fond est très important dans une photo, il est primordial.

Bien sûr, je suis toujours voyeur, même en photographiant des choses sans intérêt. Quelqu'un qui fait des images ne peut pas être rassurant.

J'ai l'impression que le temps est lié au miroir, et le lieu à la fenêtre.

Je crois  qu'on peut faire une errance fixe, immobile. On peut être dans l'errance en restant toujours dans le même lieu. Il n'est pas nécessaire de bouger.

Savez-vous écouter ?


Savoir écouter, ça s'apprend. Techniques simples et concrètes pour bien communiquer (éditions Jouvence).
Autant j'ai pu faire un peu d'ironie à propos du livre de l'illusionniste, autant Savoir écouter de Christel Petitcolin me paraît être un livre utile. On sent que l'auteur parle de sa pratique au quotidien, en psychothérapie ou lors de formations. Et elle propose un programme d'entraînement à la fin du poche.

Elle commence par une question : est-ce-que vous vous sentez écouté, est-ce-que vous savez écouter ? En général, les gens répondent non à la première question et oui à la seconde. Preuve qu'on surestime ses propres capacités d'écoute et qu'on a besoin d'exister davantage aux yeux des autres. Il est nécessaire de prendre conscience de l'incompétence partagée en matière d'écoute (blocages, déni du ressenti des autres, monologues juxtaposés) pour progresser.
« Chacun crie dans le désert son besoin d'être entendu, accepté dans son unicité, et personne ne se soucie de l'écouter. »
Nous sommes tous égocentrés. L'être humain est ainsi fait . « Moi, je suis la personne la plus importante pour moi ». Même l'altruisme n'est pas simple bonté d'âme : il sert avant tout à avoir une bonne image de soi-même. Elle rappelle cette notion simple et cela permet, en lisant ce petit bouquin au style clair, aéré, de se pardonner à soi-même. C'est ce que j'ai préféré dans ce livre : le regard de la psychothérapeute sur l'humain est empreint d'une indulgence souriante qui fait qu'on a l'impression d'être guidé par une amie. Elle cite Eric Berne : « Dans tout crapaud sommeille un prince » : on oriente son esprit vers le potentiel positif des gens au lieu de s'acharner sur leurs défauts. Bon, ça, c'est la théorie...

Elle propose des exercices, elle explique avec des mots simples : bulles, comportements aidant ou limitant....rencontrer l'autre dans son modèle du monde, lui transmettre qu'il est quelqu'un d'important pour nous.
Une idée principale: la reformulation. La capacité à reformuler avec une neutralité bienveillante est rassurante et apaisante. Elle cite l'exemple d'une enfant logorrhéique qu'elle a réussi à apaiser à l'aide de quelques reformulations.
 Comme c'est un livre pratique, pas la peine de tout passer en revue, il faut le lire, le relire et pratiquer.
Elle dénonce certaines choses au passage, j'ai noté :
- La propension actuelle à faire une "analyse sauvage des causes profondes". Ce blocage d'écoute est en passe de se généraliser depuis que la psychologie s'est vulgarisée. Chacun a sa petite théorie sur les ressorts cachés de chaque situation.
- Elle s'insurge également contre les pseudo sciences d'interprétation de la gestuelle. « En PNL, on dit : si une femme croise les jambes, c'est parce qu'elle est bien comme ça » Il faut perdre la vilaine manie d'interpréter.
 Enfin, si ça peut donner envie, elle finit par « Tous les commerciaux que j'ai formés à une écoute chaleureuse ont vu leur chiffre d'affaire augmenter de 30%». Belle preuve de modestie de ne le dire qu'à la fin du livre.
Elle a un site internet, http://www.christelpetitcollin.com/, peut-être un poil trop commerçant à mon goût, et aux éditions Jouvence.

mardi 4 juin 2013

Secrets d’illusionniste appliqués à la société


Un essai de 200 pages qui m'a accroché, excité et déconcerté. Où comment les mécanismes cognitifs mis en oeuvre par les illusionnistes peuvent servir en développement personnel. Un livre qui affûte l'esprit critique et qui est en lui-même un beau tour de passe-passe: on est bluffé en le lisant, et puis on se met à douter, à réfléchir...

Quatrième de couverture: 
Pour la première fois, un professionnel révèle les méthodes secrètes de la persuasion spécifique à l’illusionnisme, et il nous explique comment les appliquer dans nos activités professionnelles et notre vie personnelle. Ce sont sans doute les clés de la réussite. 
D'abord, il faut accepter le postulat de base: Jacques H. Paget serait un brillant négociateur et illusionniste. Il a étudié les techniques psychologiques de persuasion utilisées par les meilleurs illusionnistes spécialisés dans le close up. La psychologie relationnelle qui a permis une renaissance de l'art de la magie.
 Il remet les choses en perspective en écrivant : "ce regard vers l'intérieur de soi (la psychologie) est récent dans l'évolution de l'humanité."
Il dresse un bref historique des grands illusionnistes, une liste de noms inconnus que je m'empresse de noter pour des recherches ultérieures (Dai Vernon, Tony Slydini, Arturo de Ascanio...ça fleure bon le mystère).
Haddock y croît, mais il n'a pas été mis dans le secret...

Le vif du sujet:
 L’illusionniste doit endormir l'esprit critique du spectateur. Paget invoque des notions simples: le silence qu'il faut être capable de tenir, le calme, le doute (vis-à-vis de soi-même pour progresser et l'absence de doute quand on est confronté aux autres). Autant de concepts bien expliqués par l'illusionniste, il met le lecteur dans la confidence, dans un esprit de connivence. J'ai pris des notes en rafales, comme si on me donnait des conseils magiques...Les illusionnistes dégagent toujours quelque chose d'un peu mystérieux, c'est agaçant même parfois, ce mystère, comme un masque qu'on voudrait leur arracher.
 Le livre a ce mérite de décortiquer des automatismes, de montrer des ressorts cachés, des manières d'agir  et comment, peut-être, les améliorer. Par-contre, ses explications sur la nature humaine flirtent avec des clichés dignes d'un psy d'émission de télé réalité. On peut endormir l'esprit critique le temps d'un tour de passe-passe, mais que se passe-t-il dans la vraie vie quand on se sent dupé ou manipulé ? Et faut-il devenir quelqu'un d'autre pour persuader ?
ça ne mange pas de pain...

La vision de l'auteur sur l'existence en société réactualise la vieille formule : l'homme est un loup pour l'homme, qui a sans doute cours dans le monde de l'entreprise, des contrats et des négociations, mais il existe des aires de repos et de confiance où les êtres humains ne sont pas obligés de devenir quelqu'un d'autre pour réussir.
Exemple, avec cette observation qui mériterait d'être mieux argumentée:
« De nos jours, plus on acquiert de savoirs, d'expériences et de compétences dans un domaine particulier, moins il faut en faire étalage. Il y a une trentaine d'années, le comportement inverse eut été préférable. On recherchait la compagnie des détenteurs de savoir et faire état de ses connaissances n'était pas nécessairement ressenti comme une forme de prétention. Aujourd'hui, cela est, étrangement, perçu comme une agression; de nos jours, il faut être beaucoup moins visible, ne pas étaler sa force. » p. 112

Certaines affirmations font mouche, un peu comme des sentences à la Maître Yoda:
«Face aux critiques, ne répondez pas. N'oubliez jamais que toute critique sert à corriger le passé, or ce qui a été ne peut plus être modifié.»
« Sous-estimons le potentiel de tout être humain et dévoilons notre ego pour faire le malin, voilà la recette idéale pour être mangé. »
« Pas d'autocritique: c'est s'auto-détruire.» (à me  graver au burin sur le coin du neurone.)
En résumé, un livre intéressant mais pas tout à fait convaincant à cause d'affirmations gratuites. Essayons d'en faire son miel, mais prudemment, sans trop le prendre au sérieux. J'ai trouvé que l'auteur n'insistait pas assez sur l'entraînement, la répétition du geste, et ne parlait pas des échecs inévitables qu'il a sans doute connu, et qui sont formateurs.
Mise à jour du 1 septembre 2013. Deux mois après ce livre, je lis l'essai de Jean-Philippe Lachaux, Le cerveau attentif (Odile Jacob). Le billet sur ce livre. En tant que psychologue cognitiviste, Jean-Philippe Lachaux décrit, p.147, le phénomène de la magie:
« Certaines personnes ont fait du contrôle de l'attention des autres un métier, les prestidigitateurs par exemple. La magie exploite directement certaines failles du système attentionnel. Au risque de décevoir les lecteurs les plus jeunes, les magiciens ne font pas vraiment sortir des lapins de leur chapeau; ils ont recours à des trucs, qu'ils doivent savoir réaliser sans se faire remarquer. Peu importe d'ailleurs que les spectateurs voient le truc du moment qu'ils n'y font pas attention: il est prouvé que les tours de magie les plus spectaculaires sont effectués en pleine lumière et au vu de tous; en mesurant précisément la position du regard des spectateurs, plusieurs études ont pu vérifier que les bons magiciens savent agir sous les yeux du public, littéralement, et sans que personne ne se rende compte de rien. (...) L'art de la magie repose donc sur une connaissance intuitive très fine des lois qui contraignent les déplacements de l'attention, dans l'espace et dans le temps. Le magicien sait identifier, et utiliser, les trous dans le champs d'attention de son public. »