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samedi 27 juillet 2013

Bill Bryson, la langue de pute de l'Amérique


Motel blues, de Bill Bryson (Petite bibliothèque Payot), traduit par Christiane et David Ellis. Écrit il y a 25 ans, en 1988. 400 pages formidables avec lesquelles j'ai eu une curieuse relation d'amour-haine. Au final, je conseille.

Quand je commence un livre, j'essaie de ne pas savoir trop de choses sur l'auteur. Je ne sais toujours pas à quoi ressemble physiquement Bill Bryson. Par-contre, j'ai formé une image mentale de l'auteur: un type au sourire espiègle, à l’œil pétillant,  toujours prêt au mauvais esprit, un vanneur de la pire espèce.
Mise à jour, ça colle bien:

Au début, j'ai eu du mal avec cette plume virtuose et méchante, qui se moque de tout et de tout le monde, n'a de respect pour rien (Les habitants de New York vont à Calcutta pour se reposer des mendiants). Presque trop virtuose, comme un boute en train qui en fait trop, et qui épuise son auditoire à force de vouloir faire rire.
C'est un Américain au cœur européen qui emmène le lecteur en voyage, dans une vieille Buick qu'il a emprunté à sa mère, et lui parle de l'Amérique profonde, de son enfance, de son père qui embarquait la famille en voiture, et se perdait sans cesse...tout comme lui "se perdre est un trait de famille".  L'intérêt des livres de voyage, c'est  de nous décrire les endroits où nous n'irons jamais, sauf virtuellement, car, gros progrès, on peut aller y faire un tour grâce à Google Street view.  Au fil des pages, ça paraît tellement différent de notre Europe, de notre France. La monotonie des grands espace, les états qui ont la taille de pays entiers, la route américaine qui s'étire à perte de vue...au Colorado: « Rien de tel qu'une route dont le point d'horizon recule en permanence pour vous donner l'impression d'aller nulle part. »
Il emporte la mise grâce à son style. On a envie de lui voler un nombre incalculable de phrases, de paragraphes. Son art de la description, de la caractérisation en quelques lignes lui permet de brosser un portrait de son pays et ses habitants comme "cauchemar climatisé" assez terrifiant. Son voyage présente beaucoup de moments d'ennui dans des paysages uniformisés, mais il est capable de lancer un moment fort, drôle ou tragique par page, ce qui relance sans cesse la lecture. Ce "truc" m'a un peu fatigué au début, mais je me suis habitué, et même, j'y ai pris goût.

Bilan: j'ai eu raison de m'accrocher malgré la répétition des scènes: rouler, arriver dans une nouvelle ville, trouver un motel, un restaurant, la nourriture insipide, la déception, l'uniformisation de l'Amérique....Et repartir sur la route dans ce pays dont il dit, page 120: «Cela me fit comprendre à quel point l'automobile, les banlieues et la richesse mal répartie ont abîmé la ville américaine. »
Si ce n'était pas un livre d'emprunt, il y aurait un millier d'annotations au crayon de papier. Et j'ai tellement envie de citer des passages entiers que ça reviendrait à copier au moins un tiers du livre sur le blog, soit environ 140 pages d'écriture. Donc, il vaut mieux que je m'arrête là, et que  j'aille voir ce qu'ils en disent sur Babelio.

mercredi 10 juillet 2013

L’œil du purgatoire, de Jacques Spitz (1896-1963)


tous les livres sur Babelio.com
Quel étonnant roman ! Et quelle puissance du genre fantastique pour nous ouvrir les portes de la perception...
C'est l'histoire d'un peintre raté et misanthrope dans un Paris d'autrefois. Il est le narrateur de sa petite vie misérable. Il n'aime personne, surtout pas lui. Il trouve les gens laids. Il s'ennuie avec sa maîtresse. Il méprise ses amis, qui ne s'en formalisent pas, habitués à son caractère. Même ce type nommé Babar, avec sa trompe. Il traîne son ennui et cherche, de son œil de peintre, des sujets pittoresques. Un jour, il tombe sur un vieux garçon de laboratoire qui prétend être un génie et ratiocine à l'envie sur "les voyages dans la causalité".
Dans cette première partie du roman, on évolue dans un Paris en noir et blanc, un univers solide et bien réel. Mais que se passe-t-il si soudain votre regard sur le monde se met à changer, parce qu'un savant fou vous a pris pour cobaye, au prétexte que vous vouliez vous suicider ?
Quand vous devenez l'oeil du purgatoire...La suite verra se dissoudre l'univers solide du début.
La banalité quotidienne de la première partie rend encore plus fantastique la seconde partie. Je garde des images dans la tête: ça commencerait par des photos d'un Paris disparu, façon Brassaï, puis le réel deviendrait angoissant comme dans une nouvelle de Maupassant, et, pour finir, on aurait l'impression d'évoluer dans un univers lovecraftien. Le lecteur se demande au début si le roman en vaut peine, et puis, c'est la bonne surprise, on le plonge dans une morbidité qui rend l'histoire passionnante. Paradoxal ! Et vertigineux:  comme on s'identifie au "je" du personnage, on voit par ses yeux ce monde de squelettes, de décrépitude, d'humains agonisants, puis les formes, le rien...

Ce livre m'a fait penser à :  Le Horla, de Maupassant. La tribu des dix plombes de Stephen King, Les voyages dans le temps, de HG Wells.

samedi 6 juillet 2013

Fukushima, récit d'un désastre



La catastrophe de Fukushima est un événement qu'on a suivi il y a deux ans à travers les actualités. Et puis, on est passé à autre chose, guerre, crise, élections, etc. Et puis, c'est loin, le Japon. C'est pas comme Tchernobyl, qui vient contaminer la salade corse.
Et pourtant, il suffit de taper Fukushima dans Google pour voir que ça continue et que c'est flippant.
Un blog sur Fukushima
Le dossier de Rue 89
Il fallait un écrivain pour que je prenne conscience de la réalité du désastre. Une écriture: « A un moment donné, il n'y a plus rien d'autre à dire: la terre tremble. Elle tremble encore. Et nous dessus. (...) l'écriture devient un moyen de saisir le phénomène et, sinon de lui assigner une place, du moins de comprendre son rythme, pour remporter sur lui une victoire d'autant plus précieuse qu'elle est précaire et provisoire. »p.60

C'est le 11 mars 2011 que ça commence. Michaël Ferrier, universitaire français enseignant au Japon, est avec sa compagne, Jun. Il décrit sur plusieurs pages les deux minutes du tremblement de terre (vertical, les plus terribles.) sur un ton presque fantaisiste (sarabande des livres qui tombent).
Puis la vie reprend son cours, si on veut, car il y a les répliques, qui s'étalent sur les mois suivants. Et les fausses alertes. « Le problème des fausses alertes, c'est qu'il faut à chaque fois stopper les trains, fermer les barrages, tenter de minimiser les dommages, etc. La vie s'arrête et reprend en permanence, on vit le monde en discontinu. »
Et surtout, les événements se sont enchaînés à une cadence folle, «... telle qu'aucun scénariste de film catastrophe n'aurait pu l'imaginer: tremblement de terre de magnitude 9, tsunami sur une centrale nucléaire, fonte des coeurs, explosions dévastatrices dont au moins une a propulsé à près de quinze mètres de hauteur des blocs de béton conçus pour résister au feu nucléaire....»

Un temps, Michaël Ferrier et Jun se réfugient à Kyoto ( La ville est l'une des plus belle du monde, avec ses temples à chaque coin de rue), il font l'amour (l'immense trépidation qui s'est emparée du monde a sa charge mortelle, mais aussi une vertu érotique.) Dans un Japon soumis aux répliques, aux économies d'énergie, nous voyons une métropole dont tous les écrans sont éteints...Il y a pénurie, comme en temps de guerre. Les 7 produits les plus demandés dans l'ordre:

  1. le papier toilette
  2. les bouteilles d'eau minérale
  3. les nouilles instantanées 
  4. les piles électriques 
  5. le nattô (soja fermenté) 
  6. l'essence 
  7. les produits laitiers 

Puis le couple part dans les régions sinistrées dans une camionnette de location remplie de vivres et de médicaments. Et c'est là que l'écriture est essentielle, plus forte que toutes les images, toutes les vidéos.
 J'ai été, comme tout un chacun, submergé par le déluge des images. Aucune d'elles ne m'avait préparé à cette confrontation incroyable avec le réel, car les images (...) nous tiennent à distance. p.100. 
La description par les mots, par les métaphores nous rapproche du réel. Il décrit le paysage dévasté, l'odeur, le son du vent qui est étrange car l'air n'est plus arrêté par rien. Il fait revivre le tsunami car il a interrogé nombre de survivants, l'hésitation des habitants quand ils voient l'énorme masse d'eau arriver. Il le personnalise (le monstre, le flot de la peur ).
Il note que le mot "hallucinant"  reprend tout son sens, car ce qu'il voit est irréel.

Mais ce n'est pas fini, bien sûr. Car s'y ajoute l'accident nucléaire. Il se rend dans la zone interdite, dans les nouvelles villes fantômes du Japon. Il interroge un liquidateur qui lui décrit le réacteur. La situation : une catastrophe continuée, un état d'urgence dont on ne voit pas la fin. Exemple: la pâte incandescente hautement radioactive qui continue son chemin dans le sous-sol, problème totalement occulté par les autorités.
Voici un témoignage sobre et puissant pour nous montrer ce qui s'est passé là-bas, à l'autre bout du monde. Et nous préparer à ce qui peut se passer ici. Nous sommes prévenus. Il pointe bien les rodomontades des docteurs Folamour à propos du nucléaire. Quand la catastrophe se déclenche, les forces en jeu sont tellement immenses que les moyens humains paraissent dérisoires.