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vendredi 6 septembre 2013

La Jalousie, de Alain Robbe-Grillet

Littérature expérimentale
La Jalousie, de Alain Robbe-Grillet, 1957, éditions de Minuit.

La Jalousie s'adresse à un lecteur curieux qui a envie de sortir des sentiers battus du récit traditionnel. Ce n'est pas une lecture si difficile que ça si on a conscience du point de vue dans l'art en général, et en littérature en particulier.

Le lecteur doit s'incarner dans ce regard, en comprendre ou en inventer le sens.
On ne saura rien de celui qui raconte, ni son nom, ni sa situation. Le quatrième de couverture nous dit que c'est un mari qui surveille sa femme, mais ce pourrait être aussi bien un fantôme dont on dresse le couvert. Il ne parle pas, on l'ignore, il ne fait pas de bruit.
"Les chaussures légères à semelles de crêpe ne font aucun bruit sur le carrelage du couloir".  
Il décrit les choses et les êtres. C'est un regard qui constate la présence mais aussi l'absence.
 La silhouette de A..., découpée en lamelles horizontales par la jalousie, derrière la fenêtre de la chambre, a maintenant disparu.
 La topographie de la plantation est si soigneusement décrite qu'on a l'impression d'y avoir demeuré. Il capte des détails pour capturer le réel.
L'épaisse barre d'appui de la balustrade n'a presque plus de peinture sur le dessus. Le gris du bois y apparaît, strié de petites fentes longitudinales. De l'autre coté de cette barre, deux bons mètres au dessous du niveau de la terrasse, commence le jardin.  
Il observe le jeu de séduction entre A..., la femme du récit, dont la féminité attire le regard :
Il est manifeste qu'elle a déjà pris sa douche. Elle a gardé son déshabillé matinal, mais ses lèvres sont fardées, de ce rouge identique à leur rouge naturel, à peine un peu plus soutenu, et sa chevelure peignée avec soin brille au grand jour de la fenêtre, lorsqu'en tournant la tête elle déplace les boucles souples, lourdes, dont la masse noire retombe sur la soie blanche de l'épaule. 
et Franck, le propriétaire d'une plantation voisine, qui vient sans son épouse Christiane, prendre l'apéritif ou dîner. Ils sont servis par le boy. Les soirées se finissent dans l'obscurité complète sur la terrasse.
Il y a une attention extrême à ce que nous voyons tous les jours. Les détails infimes auxquelles nous ne prêtons pas attention. Une volonté de saisir le monde avec des phrases. En le pétrifiant dans des paragraphes, on le possède, on a un pouvoir sur lui. Le fait de décrire ou de se souvenir de choses auxquelles les autres ne prêtent pas attention donne un sentiment de maîtrise. Mais on a jamais accès aux pensées de l'autre. On ne peut que deviner, se tromper peut-être.
Les visions, les obsessions se succèdent. Jusqu'à brouiller la chronologie. La scène du scutigère écrasé, le cognac versé, les ouvriers à l'extérieur, les sons des grillons, la femme à sa coiffeuse, la main aux doigts effilés... Comme dans un esprit jaloux qui traque les mêmes souvenirs, les mêmes scènes. Ce que fait le "regard" du récit, tout amoureux obsessionnel a pu rêver de le faire. Saisir la moindre image fugace d'un être aimé et l'épingler avec des mots, comme pour en épuiser le mystère.
Est-ce-que j'ai aimé lire ce livre, que m'a t-il apporté ?
Des images restent très fortes, la plantation, la maison, l'acuité du regard du narrateur. Une immobilité qui ressemble à celle de notre vie de tous les jours. Nos moments de vide dans une journée, l'ennui sans lequel les moments forts n'auraient pas la même valeur.
Est-ce que je le conseille ? Je le conseille à celui ou celle qui aime écrire et qui voudrait s'inspirer des techniques de description ultra précises de Robbe-Grillet.

Un livre que j'avais au programme en Lettres modernes et que je n'ai jamais lu. Quand c'est obligatoire, officiel, c'est moins drôle. La lecture doit rester un vice. Et l'avantage du blogueur sur l'étudiant, c'est la liberté d'esprit, on lit comme lecteur, sans s'encombrer de théories littéraires. Même si, une fois terminé, je vais faire des recherches avec curiosité sur ce livre issu de la mouvance du Nouveau Roman. L'article de Wikipédia semble pas mal.

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