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vendredi 27 décembre 2013

Nue - Jean-Philippe Toussaint

Nue de Jean-Philippe Toussaint. (Les Éditions de Minuit)

 le pouvoir de la phrase. 

Un homme attend dans son appartement que Marie l'appelle. Il espère renouer le lien et garder la femme qu'il aime. Il se souvient d'elle, sa façon d'être avec les gens «sans s'intéresser le moins du monde à leur rang». Toussaint excelle à rendre ces moments d'attente où il pense tellement à elle qu'elle est vivante dans ses pensées « Je m'approchais d'elle mentalement avec précaution ».

On s'identifie à l'obsession de l'auteur qui veut emprisonner avec ses mots cette
 « ...femme de son temps, active, débordée et urbaine, qui vivait dans des grands hôtels et traversait en coup de vent des halls d'aéroports en trench coat mastic dont la ceinture pendouillait au sol en poussant devant elle deux ou trois chariots qui débordaient de bagages, valises, sacs, pochettes, cartons à dessin, rouleaux à photos, quand ce n'était pas - oh, mon dieu, je m'en souviens encore -.....»
 Avec cette phrase qui dure encore quelques lignes, on a un exemple du style de Toussaint, capable d'accélérations, mais qui décrit les événements au ralenti, qui les fige.
On est avec le narrateur dans une position inconfortable sur le toit d'un palais à Tokyo, on est avec lui sidéré par cette vision de Marie fumant sa cigarette à travers la vitre embuée de pluie d'un café place St-Sulpice, épisode qui trouvera son acmé à la fin du livre avec un jeu sur les mots comme des indices semés, Marie, Sulpice....
Nous qui n'avons jamais pris l'avion, nous l'accompagnons dans son voyage vers l'île d'Elbe, en compagnie de Marie justement.

Images lentes du quotidien traitées comme un film remémoré majestueusement, car ce sont tous les moments précieux auprès de l'être aimé. Toussaint nous procure ce plaisir: transformer des moments de vide, de solitude, d'abandon en objet esthétique avec son style rond et clair qui sait prendre son temps pour ralentir, décrire, avec cette ironie en arrière-fond qui ne le quitte pas.

On le voit, j'ai été conquis. Et ce n'était pas forcément gagné. Au début du roman, je fais mon ronchon, Toussaint s'est embourgeoisé, il est sur la liste des Goncourt, il voyage dans le monde... Je ne retrouve plus les individus déphasés, originaux de L'appareil-photo ( relire ce roman qui m'avait souvent fait éclater de rire), le solitaire légèrement paranoïaque  du méconnu La réticence. Et ça m'agace presque de me laisser avoir au cours de la lecture, il finit par gagner la partie. Oui, semble me dire l'auteur, je me suis normalisé, je fais moins de gaffes, j'ai droit au bonheur auprès de l'être aimé, mais je n'ai pas perdu mon style, ma capacité à fournir des morceaux de bravoure. Je veux être un homme heureux, nous dit-il, comme dans la chanson.
Bref, des retrouvailles réussies.

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