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jeudi 23 janvier 2014

La Conjuration de Philippe Vasset

Philippe Vasset, La Conjuration (Fayard). 200 pages.

Un personnage, dont on ne saura jamais le nom, raconte ses explorations urbaines d'arpenteur des villes qui s'intéresse aux zones blanches de Paris et de sa proche banlieue. Il retrouve une ville qui a changé, d'anciens lieux de squat ont disparu, ses anciens fiefs sont envahis par les grues. La ville s'est bouchée pour le marcheur qui avait des cachettes secrètes dans tout Paris, une collection de portes dérobées, des issues de secours disséminées en ville. Le narrateur préfère être un rôdeur de la marge ayant une préférence pour l'inutile, le caché et le transitoire plutôt que de mener une vie où il faut voter, aimer et travailler. 

La capitale était pour moi une sorte de livre de chevet, une trame familière que je ne cessais d'organiser en formes nouvelles. 
http://xaviercourteix.com/index.php/zones-blanches/

Face au risque de clochardisation, le narrateur accepte la proposition d'André, une ancienne relation en rupture de ban, de l'aider à créer une secte. Il va enquêter sur les meilleurs lieux pour les cérémonies secrète, et inventer le meilleur story-telling. 

Le point de bascule est la rencontre de Jeanne, l'amazone, ex du service opération du renseignement extérieur. Elle l'initie aux infiltrations dans les espaces privés. C'est la séquence aventure de ce roman, courte et mystérieuse. 

Nous visitâmes des entrepôts bourrés de marchandises, des laboratoires sécurisés et des cabinets d'avocat.
Et nous avons un final atmosphérique avec cette conjuration muette d'êtres déclassés bannis "des espaces normés du travail rémunéré" devenant peu à peu des figures transparentes. Comme des pions en trop sur un jeu d'échec et obligés d'être en perpétuel mouvement pour ne pas être repérés, sautant de cases blanches en cases blanches. 
Voilà une semaine que j'ai réussi à entrer dans la tour. Progressant par cercles concentriques à partir des bureaux auxquels j'avais accès, j'ai peu à peu étendu mon périmètre d'exploration à tout le bâtiment.P.163

J'ai aimé ce roman qui s'inscrit au fond dans une longue tradition des narrateurs de la marge, des piétons solitaires et paranoïaques observateurs du monde dit "normal". Il a des points communs avec Chien de Nizon mais on peut le rapprocher des romans de la trilogie New yorkaise de Paul Auster. A travers son exploration des interstices parisiens, l'écrivain réinvente et ré-enchante les lieux inhabités. Je suis en terre familière, je ne pouvais que m'identifier au personnage. 

samedi 18 janvier 2014

Les Outrepasseurs tome 1

Littérature "young adult".
Les Outrepasseurs, de Cindy Van Wilder.
Tome 1: Les Héritiers. Gulf Stream éditeur.

Le livre est déposé dans la boîte aux lettres. Envoyé par l'éditeur en service de presse dans le cadre du partenariat avec Babelio. Critiques du livre sur Babelio.

 Créé en 1982 sous le nom "Les Éditions Gulf Stream", Gulf Stream Éditeur, installé à Saint-Herblain (44), est un éditeur de livres et d'images. Gulf Stream Éditeur publie des livres pour enfants et adolescents en espérant être comme le courant qui porte son nom, plein d'énergie, de chaleur et de vie.

C'est un livre épais avec une belle couverture blanche et des ornements. Au centre de la couverture, un trou dans un O ouvre sur une illustration marquée du chiffre 1 en lettre d'or. Symbole de la mise en abyme du texte.
Le risque, ce serait de ne pas aimer un livre qu'on vous envoie gratuitement. Pas de souci, je l'ai lu en deux fois, on ne le lâche pas.

Le talent principal de  Cindy Van Wilder, c'est de réussir à faire exister des personnages si différents. Il y a le jeune Peter qui ouvre le roman. Il rêve d'une carrière de footballeur comme beaucoup de jeunes de son âge. Au-moment où l'entraîneur le remarque enfin, son destin bascule. Deux chiens noirs l'attaquent dans la nuit et il va devoir renoncer à une vie normale, non sans tourments, non sans souffrance.

Il y a le Frère François qui traverse le pays l'hiver en direction de Paris et qui se sent obligé d'aider des villageois persécutés par des événements surnaturels. Il y a Niels, ce père en colère qui ne peut pas aimer ce fils aîné qui ne lui ressemble pas. Et il y a le Chasseur, cette créature qui incarne le mal surpuissant qui domine outrageusement les humains qui lui font face. Nous voyons évoluer ces personnages au cours du roman, nous savons que certains vont revenir, d'autres vont forcément mourir...Et il y a ces communautés villageoises du Moyen-âge qui pensent que pour anéantir le malin il faut dresser des bûchers...
Les événements s'enchaînent sans qu'on s'y attendent, et, une fois terminé, le roman nous reste en mémoire grâce à sa construction ingénieuse: les plongées, les souffles, qui sont autant de métaphores d'une mise en abyme, d'un aller retour entre présent et passé.

Comment définir le plaisir ressenti à la lecture? On a un style simple et efficace totalement au service des descriptions de l'univers médiéval et des péripéties qui s'enchaînent. Des familles qui nous ressemblent avec leurs qualités leurs défauts et qui sont les jouets de créatures surnaturelles et d'un sort maléfique. On sait que ces êtres ordinaires deviendront cruels à leur tour. Et métamorphosés... Ça se boit sans soif, comme on dit. L'univers est mis en place, le premier affrontement a eu lieu que va-t-il se passer dans les souterrains obscurs de la Reine trois fois née trois fois morte ? Qui remportera la guerre ?


Pierre était le dernier. Il adressa un salut moqueur au garde et respira une dernière fois la brise qui agitait les arbres. Il avait tant aimé cette terre, il s'en rendait compte maintenant. Il se laissa tomber dans le précipice qui s'ouvrait à ses pieds et qui venait d'engloutir les siens. Sa seule famille. Après son passage, la porte se referma. Comme si rien n'était jamais arrivé. 

vendredi 3 janvier 2014

Thomas Clerc - Intérieur

   Publié chez Gallimard / l'arbalète en septembre 2013.

Après avoir arpenté son quartier, le 10è arrondissement, en l'explorant de A à Z et en avoir tiré un livre: Paris musée du XX è siècle, Thomas Clerc change d'échelle. 
IL décrit son appartement avec le plus de précision possible. Il part de la porte d'entrée, et s'occupe de chaque pièce, l'une après l'autre. Il enferme un espace parisien dans les 386 pages d'un livre, créant non un livre-monde, mais un livre-appartement, ce qui n'est pas si différent, car chaque élément décrit, meuble, éraflure, ustensile, livre, vêtement, a une histoire qui le renvoie à l'extérieur et le lecteur à sa propre histoire, notre vie avec nos objets à nous, notre comportement dans un lieu habité. Loin de nous enfermer dedans, le texte avec son concept radical possède ainsi une vraie force centrifuge.

C'est une lecture apaisante. Le regard se promène d'une pièce à l'autre, d'un objet à l'autre. On accorde de l'importance à ces objets du quotidien vus mais rarement observés. Ils ont leur histoire, leur pouvoir d'évocation. Leur pouvoir de provocation:  un paragraphe sur le balai de chiotte, le rouleau de papier-toilette.

C'est apaisant car il y a peu d'émotivité. Thomas Clerc ne cherche pas à provoquer le suspens, l'angoisse du lecteur. Aucun coup de théâtre, ouf. Itinéraire balisé, planifié. Il raconte son appartement avec un second degré très plaisant, un petit air de dandy lettré et amateur d'art capable de se moquer de lui-même et assumant ses manques, ses défauts, son snobisme.

Il fait ce qu'il veut chez lui. Parfois, tout de même, le lecteur sort de son voyeurisme tranquille (après tout on l'a invité à être voyeur) pour être choqué. Par-exemple, le propriétaire jette son marc de café dans les WC... Je désapprouve aussi qu'il gâche l'eau en prenant des bains, dans une baignoire qui met 13 minutes à se remplir. Mais il savoure, il est maître chez lui. On comprend son plaisir de prendre son bain caché du dehors, alors qu'une fenêtre est ouverte et qu'il voit bouger le coton du rideau dans l'air chaud.

Mais c'est quoi ce mépris pour les porteurs de sac à dos (page 318) ?
Mais si le citrate de béthaïne est aussi efficace qu'il le dit quand on a beaucoup bu, je prend .

La contrainte, le concept à la base de ce livre donne donc lieu à une aventure mentale qui donne plein d'idées. On (re)découvre des objets qu'on n'utilise plus ou pas soi-même: le grille-pain, la canne épée, le fluocaril, le rideau de douche, le judas de la porte d'entrée, l'iBook G4 d'Apple (et le geek  va voir sur internet à quoi ressemble ce mac de 2005), le sous-pull à col roulé, les boots, la redingote, le blazer, le pull marin. C'est drôle comme ce texte nous fait souvent revenir en enfance, des trucs que j'ai porté étant gosse.

On se compare, les chemises, les slips, les vêtements en général. L'homme se flatte d'avoir du goût. Il s'assume comme un lettré, maître de conférence, qui n'a vécu qu'à Paris. Qui possède des centaines de livres, rangés par ordre alphabétique. Il les passe en revue pour nous.
Il change de parfum depuis le début de l'écriture, dans le temps du livre, j'y connais rien mais il a l'air d'avoir du goût, on a envie de copier: Flowerbomb, Sables d'Annick Goutal, Musc ravageur...

Bref, j'ai adoré ce livre, j'ai fait un voyage précis, copieux qui m'a nourri d'idées. J'ai aimé le défi de l'auteur, son audace à se permettre d'écrire un livre pareil. Le pari est largement réussi, j'ai d'emblée envie de lire les autres ouvrage de Thomas Clerc. J'espère juste que je n'ai pas commencé l'année par le meilleur livre....