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mardi 26 août 2014

La rédemption de Tyler Hamilton

LA COURSE SECRÈTE  Tyler Hamilton  Daniel Coyle  Traduit par Anatole Muchnik
Mars 2013
Presses de la Cité Etranger - Documents
20 € - 304 p.

Énorme bouquin, lu pied au plancher, en retenant mon souffle. Ça me ramène en arrière...

Été 99, à la surprise générale, Lance Armstrong, le rescapé du cancer, remporte le prologue du Tour de France et se vêt de jaune pour la première fois. Quelques jours plus tard, il s'envole sur les routes luisantes de Sestrière, il mouline comme un damné, il surclasse tous ses adversaires. Devant la télé, je ricane et j'admire, et je vais passer sept ans dans cet état ambivalent, énervé par l'arrogance de l'Américain et l'envie d'y croire, de respecter celui qui se prépare le mieux. Mais justement, comment se prépare-t-il ?

Été 2005, sur l'estrade des Champs Elysées, dos à l'Arc de Triomphe, le texan, vêtu de son septième "yellow jersey", délivre un sermon au monde du sport, à la France, aux sceptiques... A l'époque, amer, je pense, l'histoire jugera...Des vérités finiront bien par émerger...Sauf que c'est allé beaucoup plus vite que prévu, et ce livre nous explique pourquoi, comment.

 La façon dont le livre a été écrit s'apparente à une thérapie, une psychanalyse via Skype, avec le journaliste Daniel Coyle.
 « Nos entretiens se sont étalés sur près de deux ans. J'ai eu à certains moments le sentiment d'être un prêtre recevant la confession; à d'autres, un psy. Au fil du temps, j'ai constaté que le fait de parler transformait lentement Hamilton. »
C'est un récit à la première personne, une confession, une autobiographie et aussi le portrait d'une personnalité hors-norme qui apparaît comme une sorte de psychopathe: Lance Armstrong.

Ça ferait un super film hollywoodien. J'imagine le début : un homme, solitaire, ramasse du bois mort dans les collines. Il rentre chez lui et s'adonne à la menuiserie (le hobby de Tyler Hamilton) tandis que sa (nouvelle) femme se gare en voiture. Un cycliste s'arrête pour lui demander de l'eau. L'homme se souvient...

Résumé: 
Tyler Hamilton est un brave gars du Massachussetts, un boy-scout, humble, aimable, poli, doté d'une capacité ahurissante à supporter la douleur « Je suis capable de tenir quoiqu'il arrive...Plus c'est dur, mieux je m'en sors. ». Bref, il est fait pour le vélo.

Première rencontre avec Armstrong, vers 1994, " tout le monde le trouvait prétentieux", il admire la puissance du tout jeune champion du monde.

Tyler Hamilton est engagé par Thom Weisel, un millionnaire  fan de cyclisme qui veut mener ses boys au sommet du Tour de France. Mais en Europe, en 1996, les US Postal se font laminer, ils doivent s'accrocher rien que pour finir les courses, les autres coureurs défiant les lois de la physique.

Pragmatique, Weisel engage un médecin espagnol, Pedro Celaya. Hamilton se rend compte que les coureurs qui ont droit aux petits sachets de papier blanc qui circulent sont meilleurs que ceux qui roulent "pan y agua", expression qui rythme tout le bouquin.
Même s'il veut se prouver qu'il est plus fort qu'un petit sac en papier, il doit se rendre à l'évidence, ces 1000 jours de sa carrière professionnelle où il est resté pur, c'est comme s'il s'était laissé voler son gagne-pain. La petite gélule rouge qui contient de la testotérone lui fait du bien: "un moi amélioré".

C'est l'époque de Gérone, l'amitié avec les autres "posties", Scott Mercier, Darren Baker, Georges Hincapie, Marty Jemison. Un coureur italien nommé Baffi amène avec lui sa centrifugeuse. Puis c'est la première injection d'EPO (p.57), ce qu'on ressent...Il conclut: elle récompensait mes points forts.

1997, premier Tour de France, "invraisemblablement dur" dit-il, où il assiste au "numéro de malabar" de l'équipe Festina. Jean-Cyrille Robin, leur leader, débauché de cette même équipe Festina, finit le Tour à la 15è place.

1998, c'est le retour de Lance Armstrong, guéri de son cancer. Le personnage a un don pour déceler les points faibles chez les autres, il a réponse à tout. Il déteste les "peut-être" et classe les gens en deux catégories: les geignards et les anti-geignards. Il n'aime pas les intellectuels du type Bobby Julich. Si on le contredit, on a droit au Regard... C'est un homme qui a une vision sans nuance sur le monde. La règle d'or de Lance: « Quoi que tu fasses, ces salopards sont toujours en train d'en faire plus...»

Hamilton participe au Tour 98 (contrairement à Lance qui n'a pas encore le niveau) et décrit l'affaire Festina de l'intérieur, la panique dans les équipes, presque 25 000 dollars de produits jetés dans les wc...

Puis c'est la grande US Postal de l'année 99 ... Armstrong prépare son équipe, il a choisi un nouveau directeur sportif, Yohan Bruyneel (coureur retraité de la Once), un homme qui «... sait parfaitement donner un air de normalité aux choses les plus scandaleuses. » Il y a de nouveaux médecins, débauchés de la Once... Son jardinier, un Français nommé Philippe,  approvisionnera l'équipe en EPO par moto, on l'appelle Motoman.

FERRARI
Il présente le docteur Ferrari à Hamilton.
Hamilton décrit bien l'importance de Ferrari, comparé à un ordinateur, celui qui lui donne les bons chiffres. Armstrong gagne le tour et, face aux doutes des journalistes, choisit d'être offensif. Comme il l'a été pour intimider Christophe Bassons.
Hamilton s'installe à Nice, près d'Armstrong. Cela leur permet d'aller se tester en Italie auprès de Michele Ferrari, leur véritable entraîneur, « qui a le chic pour profiler nos entraînements comme des séances de torture, presque au point de nous tuer, mais pas tout à fait.» Il s'agit de rouler six heures en suivant des programmes de watts et de cadence, les coureurs rentrent chez eux épuisés à en perdre connaissance. Et utilisent les produits qui ont pour nom AMGEN, EPREX, Andriol....Ferrari est obsédé par le poids des coureurs, il mesure aussi leur taux de lactate après l'ascension d'une côte. Et il explique à Hamilton des concepts physiologiques comme le fait qu'une cadence plus rapide est moins éprouvante pour les muscles car la charge de travail est transféré du physique à l'appareil cardiovasculaire.
« On éprouvait le sentiment de se pousser plus loin que jamais, de se transformer en un être plus puissant. »
Et ce n'est pas fini. On l'emmène en jet privé en Espagne pour lui prélever du sang  dans une clinique " C'était irréel, un monde imaginaire", Hamilton décrit une énorme aiguille. Il faut manipuler doucement les poches de sang, car les globules rouges sont vivants...Le sang lui sera réinjecté pendant le Tour de France. Il se sent boosté de plusieurs watts...


Tour 2000. Deux hommes font peur à L.A. qui essaie toujours de tout savoir sur tout le monde, quels sont les produits qui circulent : Jan Ullrich "superboy" et Pantani, le coureur romantique, aux attaques imprévisibles, qui va faire douter Armstrong au point que celui-ci fait appeler Ferrari en pleine course via Bruyneel et l'oreillette....

Tyler Hamilton conclut cette période en disant:
« Voici ce qui nous a permis de battre les contrôleurs: ils testaient moins le dopage que la discipline ou l'intelligence du dopé.
Conseil n°1: Porter une montre
Conseil n°2: Toujours avoir son portable sous la main
Conseil n°3: Connaître son délai d'incandescence, c'est-à-dire le temps durant lequel on reste positif après avoir pris la substance. »
Les relations se tendent.
Hamilton progresse au point de se rapprocher du niveau d'Armstrong et de battre un de ses records sur les tests organisés par Ferrari. Il décrit la paranoïa d'Armstrong
 « Les amitiés de Lance suivent toutes le même schéma bizarre, la même évolution, quelque chose dérape (...) Des tueurs impitoyables, voilà comment Lance voyait le monde. »
Mis de coté, il fait le Tour de France 2001 "pan y agua" ce qui permet de comparer ses performances dopé/non dopé: « J'ai fini à la 94 è place, à 2h et demie de Lance....»

Il rejoint la CSC de Bjarne Riis qui lui présente le docteur Fuentes dont il fait le portrait (p.158), un préparateur qui s'est formé en Allemagne de l'Ouest et a aidé un peu tout le monde en Espagne où on est un peu plus coulant avec le dopage. Ils se font un planning pour les poches de sang à fournir.
 « La logistique que requièrent les Poches de Sang est assez complexe, parce que les cellules sont vivantes et qu'elles ne survivent qu'environ vingt-huit jours hors de l'organisme. »
Hamilton décrit bien le stress du dopé qui fait des allers-retours entre chez lui et la clinique. En parallèle, le docteur italien Cecchini lui prépare un programme de fractionné basé sur des accélérations de 40" suivis de temps de repos de 20".

Pour le Tour d'Italie 2002, sa femme Haven surveille les poches de sang mises au frais dans le frigo d'un appartement de Monaco, au cas où il y aurait une panne d'électrecité. Et Hamilton comprend le fonctionnement de son corps avec cet afflux de sang neuf:
« L'astuce quand on roule après une transfusion, c'est d'ignorer les signaux d'alerte, de dépasser les murailles, on atteint un palier et voilà qu'on peut se maintenir dans cette position. La transfusion m'avait donné 3 ou 4 % de puissance en plus, soit 12 ou 16 watts supplémentaires; je pouvais soutenir un rythme cardiaque de 180 battements par minute au lieu de 175. Cinq battements par minute, ça changeait tout. » Hamilton finit 2è du Giro 2002, malgré un trait de fracture à l'épaule. 
Floyd Landis remplace Tyler Hamilton chez US Postal

Il décrit aussi le petit monde des coureurs qui se côtoient. Même s'il n'est plus son patron, Armstrong est toujours là dans le bouquin comme une menace qui rôde. Un certain Floyd Landis vient d'apparaître dans son entourage. Hamilton l'aime bien et le décrit comme plus dur, moins béni oui-oui que lui-même, "Floyd était abrasif"...Ce sont des passages passionnants quand on connaît la suite, les trajectoires parallèles des deux anciens lieutenants du Boss...

Tour 2002, Hamilton est au service de Jalabert et Carlos Sastre, il finit 15è du Tour en ayant pris deux poches de sang, des rendez-vous clandestins dans des hôtels avec Fuentès qui le perfuse. Armstrong remporte son 4è tour en manifestant une supériorité presque embarassante. C'est aussi l'année de l'affaire Rumsas...On le voit, les dopés passent souvent au travers du filet, mais ce n'est pas si simple de prendre les produits....

Ensuite, Tyler Hamilton gagne Liège-Bastogne-Liège, il reste fier de sa victoire sous la pluie, on peut la voir sur Youtube, il a évidemment bénéficié d'une PS comme il les appelle. Il change de dimension, devient un rival crédible du Boss.

Tour 2003.
Extrait: « C'est là que ça s'est produit. Si vous voulez savoir comment le dopage peut influencer une course, regardez ces 10 secondes au pied de l'Alpe-d'Huez en 2003. Quand Lance et sa bande ont accéléré, je me suis instantanément retrouvé à cinq ou dix mètres derrière. Sans la poche de sang, l'écart se serait creusé et je ne serais jamais revenu. Mais la poche de sang m'a procuré ces 5 battements de coeur, ces 20 watts supplémentaires. C'est grâce à la poche de sang que j'ai pu m'accrocher et revenir. »
Au cours de la troisième semaine, juste après l'injection de sa troisième poche de sang, Hamilton réalise une performance d’extraterrestre sur l'étape de Bayonne, une échappée solitaire qui lui permettra de rejoindre la 4è place du classement général. Tout ça avec une fracture de la clavicule.

Retour aux USA, il est devenu une star, mais la dépression le rattrape, c'est une épreuve très douloureuse. L'Effexor 150 mg et le soutien de Haben, sa femme, le sauve petit à petit.
Il a changé d'équipe, il a 33 ans, il n'a plus beaucoup de temps. Fuentès, toujours aussi fou, (sans compter que son vieil assistant atteint de démence a pu mélanger les poches de sang) lui apprend qu'il a acheté un congélateur médical, surnommé Sibérie, qui permet une conservation plus longue des poches de sang prélevées. Mais il faut les mélanger lentement à une solution d'éther de glycol.

Pendant le Dauphiné Libéré 2004, Hamilton fait l'ascension du Ventoux la plus rapide de l'histoire et les ennuis commencent. Il est convoqué par Verbruggen de l'UCI où on essaie de l'intimider. Floyd Landis lui apprend que Armstrong, fort de son réseau, a mis l'UCI sur sa piste.

Puis c'est le Tour de France 2004, il chute et nous avons droit dans le livre à une scène hallucinante où, malade à cause d'une poche de sang corrompu, il passe sa journée de repos à Limoges, grelottant de fièvre, pissant du sang, auprès de son chien mourant. Il abandonnera le Tour quelques jours plus tard.

ATTRAPÉ. 
Juste après son titre de champion olympique du contre-la-montre, il est déclaré positif suite à une transfusion sanguine. Les chapitres suivants sont la description de sa lutte pour prouver son innocence, il décrit le processus par lequel passent tous les dopés,  celui du déni, les avocats engagés, les procédures, on connaît ça. Puis l'affaire Fuentès éclate et mouille une grosse partie du peloton.
Son mariage n'y résiste pas. Pendant ce temps-là, Armstrong remporte son 7è tour de France, adresse un message aux sceptiques...
Les années suivantes d'Hamilton se passent dans une équipe de seconde zone aux Etats-Unis.
Ces paragraphes signent la fin de la légende Armstrong

Alors, comment ça se finit? Celui qui fait tout basculer, c'est Floyd Landis « le gamin mennonite obstiné capable de citer de mémoire la Bible ». Privé de compétition parce qu'il a été pris lui aussi, il ressent une grande injustice quand Armstrong fait son come-back.
« Au printemps 2010, Floyd Landis, l’ancien coéquipier de Lance Armstrong dans l’équipe US Postal, envoie des emails au contenu explosif à une poignée  de dirigeants du cyclisme professionnel, détaillant le dopage tenu secret au sein de l’équipe.» Source.
Les derniers chapitres sont le récit façon John Grisham du filet qui se resserre petit à petit autour d'Armstrong. C'est difficile, il faut des enquêteurs obstinés et résistants - Novitzky, Travis Tygart - pour combattre le mythe qu'il est devenu, prêt à tout, surveillance des témoins, piratages informatique, intimidation (une scène de cow-boy dans un bar à Aspen entre Hamilton et Armstrong) pour en arriver à une sorte d'épilogue: les aveux d'Armstrong au micro d'Oprah Winfrey.

En conclusion. J'ai regardé les courses,  j'ai suivi passionnément dans les journaux tous les rebondissements. Ce livre nous révèle l'envers du décor et c'est une synthèse facile à lire d'un des témoins principaux.

Il m'a fait changer d'avis. Je trouvais absurde qu'Armstrong soit destitué de ses titres et que les lignes du palmarès restent vierges durant son règne. J'interprétais cela comme une sorte de révisionnisme sportif. Je pensais qu'il fallait que le Tour vive avec cette tache, ce doute, car après tout, ce n'est pas Armstrong qui a inventé le dopage, c'est juste l'homme qui s'est le plus intelligemment adapté, avec le meilleur préparateur.  Mais ce livre nous montre que ce n'est pas seulement de l'intelligence mais une manière d'être, un refus de perdre pathologique qui le conduit à la corruption (Verbrugghen, UCI), à tisser un réseau fort pour se protéger, à intimider dans le peloton et en dehors...Et j'en passe. Il s'en est fallu de si peu pour qu'il reste une légende à peine atteint par les accusations que la sanction doit être aussi symbolique: une ligne vierge, un palmarès effacé. Quand on pense qu'il a essayé d'acheter le Tour (2006), et qu'on lui a prêté un destin politique...

Ne pas être dupe. Et si Hamilton et Landis ne s'étaient pas fait prendre ? Et si Armstrong n'avait pas essayé de revenir en 2008 ? On n'aurait jamais été sûr de la vérité. D'autres avaient parlé mais jamais les premiers rôles. Ce qui me fascine le plus, c'est de constater à quel point la vérité tient à un fil. Il est finalement assez rare que les histoires réelles se bouclent aussi bien qu'une fiction...




mardi 19 août 2014

La vie rébus de Valérie Rouzeau pensant

Poésie
Valérie Rouzeau   Va où   (Le temps qu'il fait) 2002.
Les poules avaient perdu leurs dents comme des oiseaux de jamais plus et je ne voulais rien changer  
J'avais noyé le vieux poisson dans l'eau pure des métamorphoses où par amour on devient chèvre

Au début, c'est déconcertant à lire et puis on y prend goût assez vite. 
Pour mon amour en allé ma main nue puisque n'avons eu comme alliance que notre entente aux doigts croisés 
Déconcertant parce que ce n'est pas une prose classique sujet-verbe-complément, il faut aller chercher le sens, quêter les images, relire. Et le plaisir vient à s'arrêter sur ces rébus, sur ces formules à déchiffrer. On est dans inattendu verbal, dans la surprise sémantique permanente. C'est rafraîchissant de lire du Nouveau !
Lire une ligne, relire plus lentement, laisser s'opérer l'alchimie des mots les mots collés mariés (parole parabole, digne dingue), jamais de virgule, ni même de point, et attendre que se fasse une légère fusion dans le cerveau; une insoupçonnable secousse électrique sur le tracé du synapse, voyez comme ça m'inspire le Rouzeau. Les mots se répondent se répandent en sonorités, se gémellisent, il faut s'attarder, bien lire le rébus les images "gueule de loup dos d'âne et peau de lapin syllabes de chagrin yeux de pluie  poussière orpheline"... 

Le corps, les parties du corps se mélangent aux objets du monde réel.
Ma pensée se saisit de tout animaux plantes gens cailloux
Cela évoque souvent une gamine joueuse avec les mots joyeuse d'avoir des amis, une adulte au langage encore enfant qui cultive ses impressions, le temps qui passe, le temps vécu la vie passée et même l'heure de sa mort sous son tumulus...

Bref, cette poésie qui réveille le verbe réveille la vie aussi on a vraiment une sensation de fraîcheur, de vitesse, comme le vent dans le visage à la lecture. Les réseaux de mots mariés réveillent réaniment des champs de neurones, pulsation de l'infini dans le crâne-cerveau. 
Publié en 2002, ce recueil a connu un succès critique et public (10 000 exemplaires vendus, énorme pour de la poésie contemporaine). Ça m'a fait du bien de lire de la poésie, j'ai redécouvert le jeu avec les mots, elle a assoupli le langage comme une gymnastique, j'ai l'impression d'être moins raide. Un plaisir littéraire et cognitif. 
Le Monde 2002

Thierry Guichard: « Si on ne peut pas dire d'un écrivain qu'il apparaît comme un des grands du siècle à venir sans passer pour un flagorneur péremptoire, qu'il nous soit permis du moins de penser qu'il en est ainsi de Valérie Rouzeau. Et essayons de voir ce qui provoque ce sentiment. Lire la suite...»

André Velter: « En poésie, une voix nouvelle, ce n'est pas rien. Une voix vraiment nouvelle qui ne ressemble à aucune autre. Une voix qui se reconnaît au premier signe, au premier souffle, que l'on entend une fois pour toutes, et à chaque fois une fois pour toutes, comme personne. Depuis quelques temps ce prodige a un nom : Valérie Rouzeau. Et c'est un prodige qui dure. Lire la suite...



vendredi 15 août 2014

Inversions de Iain Banks


tous les livres sur Babelio.com

Soit un monde qui ressemble à un moyen-âge fantasmé, un décor de fantasy que l'auteur prend plaisir à mettre en place. Soit une doctoresse belle et mystérieuse qui possède des connaissances tellement plus avancées que son époque. Elle vient d'une contrée lointaine, elle s'est exilée, on devine des aventures où son poignard usé a du servir....Soit également un garde du corps, DeWar, au service  d'un roi dit Le Régicide car il a éliminé son prédécesseur. Ces deux êtres qui ne se rencontrent pas dans le roman ont pour point communs d'être les personnes de confiance des deux monarques qu'ils servent, des fortes personnalités, et d'être des étrangers à la cour,  théâtre d'intrigues, de trahisons, leur condition d'étranger faisant souvent d'eux des suspects idéaux.
Chaque chapitre nous présente une situation qui peut être un dialogue à propos des jeux politiques, des conflits, il y a toujours une menace qui rôde et on se demande "que va-t-il arriver" ? Dans cette société, pour connaître la vérité, on fait travailler le bourreau qui va passer à la "question" le suspect, les hommes vont au bordel ou ont un harem, et les animaux ressemblent aux notres mais ont un autre nom.

Ce qui me reste: deux beaux portraits de femmes  observées par des hommes amoureux. C'est d'abord le regard de Oelph, la voix du récit, qui est l'aide du docteur, qui l'espionne pour le compte d'un maître resté dans l'ombre et qui passe par toute une gamme de sentiments, la curiosité devant le comportement libre et atypique de cette femme, l'admiration devant le savoir qu'elle lui apprend par la même occasion et enfin le sentiment amoureux. Et la relation chaste et ambigüe entre DeWar, le garde du corps sans cesse sur le qui vive et Perrund la concubine préférée, l'infirme au passé douloureux...
C'est le premier roman que je lis de Iain Banks et je crois que j'ai eu du mal à m'abandonner à sa façon de mener le lecteur en lui bandant les yeux et en le guidant par la main, éclairant ici une scène, donnant là une information de plus qui s'ajoute aux autres. Il faut être patient devant cette construction savante. Banks reste fidèle à son point de vue unique, la voix du récit, qui explique dans l'épilogue combien il est difficile d'être sûr de quelque chose, que cela concerne le passé, le présent ou le futur. Et j'ai aimé le coté science-fiction en creux: le fait que les étranges pouvoirs de Vosill ne soient pas expliqués ni même montrés d'ailleurs mais suggèrent qu'elle vienne d'ailleurs.

vendredi 8 août 2014

Le génie caché du cerveau

David Eagleman INCOGNITO, Les vies secrètes du cerveau (Robert Laffont).
Traduction : Pierre Reignier.

Un tour du monde du cerveau qui révèle l'influence invisible du subconscient. L'auteur cite Jung:
« En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. »
Incognito fait partie de ces livres passionnants dont a pas envie de voir la fin. A chaque page, on fait une découverte sur soi car il décrit la façon insoupçonnée dont notre cerveau fonctionne. Comme l'écrit le neuroscientifique, l'homme est le seul animal à avoir décodé son propre langage de programmation, à être capable d'aller voir dans cet organe à consistance de gelée rose qui est logé dans notre crâne. Tout comme Galilée a montré que la terre n'est pas le centre de l'univers, notre conscience n'est pas le centre de notre cerveau, elle n'en est que le passager clandestin.

Sa façon d'écrire est très efficace: il nous présente des expériences, des études scientifiques dont les résultats surprennent toujours. Du coup, cette vulgarisation de neuroscience contient autant de péripéties et de rebondissements qu'une série télé. C'est un bouquin très "américain", à la fois dans ses références et dans sa façon d'envisager l'existence.

Qu'est-ce-que j'ai appris ? (et même réappris, car le livre a beaucoup points communs avec Le cerveau attentif, bien que moins technique)

Voir à la fin du billet, quand on le sait, c'est évident,
sinon notre cerveau ne le voit pas. 

Au moment où j'écris cette phrase, je regarde le jardin par la fenêtre ouverte. L'herbe est verte et de multiples formes et couleurs (fleurs, salade, tomates, potiron) rendent cette vision estivale très agréable. Et bien, tout ce que je vois n'est qu'une reconstruction de mon cerveau. Si j'étais né aveugle et que j'avais retrouvé la vue grâce à une opération chirurgicale, il m'arriverait la même chose que ce Mike dont Eagleman nous raconte l'histoire:
« Il éprouvait d'incompréhensibles sensations où se mêlaient formes, couleurs et clair obscur. Ses yeux fonctionnaient, mais la vision lui manquait encore. »
Son cerveau doit "apprendre" à voir.  Le cortex visuel est une machine dont le travail consiste à générer des reproductions du monde.

« (...) nous percevons souvent un détail particulier d'un stimulus visuel tout en étant incapable de déceler les autres. Imaginons que je vous demande de regarder ceci et de me dire de quoi il s'agit: IIIIIIIIIIII. Vous affirmerez, à juste titre, qu'il s'agit d'une succession de barres verticales. Si je vous demande combien de barres il y a, par contre, vous serez dans l'embarras. Vous voyez qu'il y a des barres, oui, mais il vous faut produire un effort considérable pour me donner leur nombre. Vous pouvez savoir certaines choses au sujet d'une scène visuelle sans en connaître de nombreux autres aspects - et vous ne prenez conscience de ce qui vous échappe que lorsque vous êtes obligé d'y prêter attention. »

David Eagleman cite également les travaux de Yarbus et de l'oculométrie, ce que nous voyons dépend de ce que cherchons du regard et nous ignorons le reste. Par exemple, notre vision périphérique est bien pire que ce que notre intuition nous incite à croire. C'est pour ça que la plus importante maxime des pilotes de chasse est "Faites confiance  à vos instruments".
Ces taches grises et noires n'ont en général aucun sens, au départ, pour qui les regarde; ce n'est qu'après avoir reçu un indice que l'on peut leur donner un sens et y voir une image. D'après Ahissar et Hochstein, 2004_ Solution toute fin du billet. 

Dans le chapitre suivant, nous voyons le travail de la mémoire procédurale et implicite à travers plusieurs expériences dont la manière d'apprendre le sexage des poussins, un secret détenu par les japonais.

Des expériences démontrent que les décisions humaines sont influencées par des associations d'idées inaccessibles à la conscience. Par exemple, si vous avez déjà vu le visage d'une personne en photo, vous jugerez cette personne plus attirante quand vous la verrez ultérieurement en chair et en os, même si nous n'avons aucun souvenir de la photo. C'est l'effet de simple exposition. Le cerveau absorbe ce qu'il perçoit sans même y faire attention. Et notre mémoire implicite influence notre vision du monde. Comme dans l'effet de vérité illusoire: vous avez plus de chance de croire qu'une affirmation est vraie si vous l'avez déjà entendu par le passé. p.88. Une simple juxtaposition de concepts peut suffire à induire une association inconsciente et, plus tard, à donner le sentiment que cette juxtaposition est familière et vraie quelque part. C'est là dessus que sont fondées toutes les publicités....L'auteur finit le chapitre en montrant que si le cerveau automatise tout ce que nous apprenons, c'est une question d'économie énergétique. Exemple, Kasparov 20 watts contre Deep Blue, plus de 1000 watts.

Plus loin, nous verrons la différence entre notre Umwelt: la réalité que l'être vivant est capable de percevoir et l'Umgebung: l'environnement général, la vaste réalité du monde. Chaque individu pense que sa propre perception correspond à la réalité du monde tel qu'il est. David Eagleman qui, dans son travail, a étudié les cerveaux et les visions des synesthètes (les mots ont du goût, les jours de la semaine sont en couleur...) montre qu'il existe de nombreuses autres sortes de cerveaux.
Il se penche sur nos instincts préprogrammés, comme le babil si mignon du bébé qui incite à s'occuper de lui, l'importance de la beauté pour les hommes et les femmes qui n'a qu'un but : la reproduction. Nous n'avons pas accès aux processus instinctifs de l'attirance et de la séduction. Les strip-teaseuses  gagnent beaucoup plus d'argent sur scène quand elles sont au sommet de leur pic de fertilité, effet mesurable de l'ovulation et de la beauté dans la vie réelle. Nous saurons ensuite pourquoi le campagnol est monogame et pourquoi la vasopressine est la molécule de l'infidélité. Note: l'article de wikipédia est beaucoup moins catégorique que l'auteur.

Qui est le vrai Mel Gibson ? Un antisémite caché ou un alcoolique pathétique ? L'auteur se garde bien de trancher, de juger. Il sait que nous sommes des multitudes. On peut parfois compenser des préjugés racistes par des mécanismes de prise de décision socialement acceptables. Le cerveau est une équipe de rivaux, nous expérimentons des dilemmes au quotidien. Une lutte incessante entre les systèmes rationnels et émotionnel. Il prend l'exemple des bulles spéculatives, la tension entre le "je veux ça tout de suite" et la vertu qui est une capacité à résister à la tentation, c'est à dire entre un système cognitif à court terme et un à long terme.

Il nous explique ensuite la différence entre les deux hémisphères du cerveau grâce aux opérations sur le corps calleux des épileptiques qui visaient à empêcher la propagation du signal électrique. Des lésions aux lobes frontaux engendrent des comportements antisociaux.

La biologie est un système constamment redondant qui ne s'arrête pas quand elle a trouvé une solution et qui invente sans cesse de nouvelle variations de circuits. Cela a son utilité dans la maladie, par exemple avec la réserve cognitive (Processus compensatoire : face à l’altération de certaines régions cérébrales due à l’âge ou à la maladie, d’autres réseaux cérébraux prendraient le relais afin que les sujets réalisent la tâche cognitive) qui permet aux Alzheimer qui ont une activité intellectuelle de considérablement moins décliner que les autres. L'auteur décrit d'autres phénomènes comme la vision aveugle, la main étrangère, les systèmes zombies ou l'effet Stroop que nous pouvons tous expérimenter. Ce "test" m'a toujours fasciné, il nous fait sentir en temps réel les efforts d'adaptation de notre cerveau.

Si nous croyons que notre conscience est au centre de notre vie, c'est parce que nous passons notre temps, enfin notre cerveau, à fabriquer des histoires rétrospectives. Il cite le chercheur Michaël Gazzaniga:
« Ces découvertes indiquent que le mécanisme interprétatif de l'hémisphère gauche travaille dur pour donner un sens aux événements. Il recherche constamment un ordre et une raison aux choses, même quand il n'y en a pas- ce qui le conduit à faire régulièrement des erreurs. »
Le cerveau interprète aussi les actions de notre corps et leur invente des récits justificatifs. Des psychologues ont observé que si on serre un crayon entre les dents pendant qu'on lit un texte, celui-ci paraît plus drôle qu'il ne l'est en réalité; c'est parce que son interprétation est influencée par le sourire que l'on a sur le visage.

David Eagleman croît tellement à la biologie et aux progrès des connaissances sur le cerveau qu'il avance des idées neuves concernant la justice. Ses arguments: comme il l'a démontré dans les précédents chapitres, nous contrôlons beaucoup moins de choses que nous le pensons et nous ne sommes pas égaux face aux pulsions. Donc, on ne pourrait pas juger un criminel sans en tenir compte. Et surtout, distinguer, grâce à une échelle de condamnation rationnelle, celui qui risque de récidiver et celui qui a les capacités de se contrôler. Il propose pour les criminels un programme d'entraînement préfrontal basé sur le neurofeedback pour former les lobes frontaux à vaincre les circuits du court-terme, et donc permettre au délinquant de contrôler ses impulsions antisociales. Ce chapitre "Pourquoi la culpabilité est une mauvaise question" est vraiment gonflé et je crois que seul un Américain aurait pu oser ce genre d'idée. Il a raison quand il souligne que ces possibilités révolutionnaires battent en brèche notre besoin instinctif de punir les criminels, de crier vengeance, dont il ne s'exempte pas d'ailleurs. Mais il croit que cela va dans le sens du progrès. Après tout, des schizophrènes ont du être brûlés sur le bûcher au Moyen-âge. Ses idées très progressistes ne me gênent pas mais son optimisme béat devant la biologie me dérange, et pose  des problèmes éthiques. Je pense qu'il lui manque une expérience de psychologue dans la vie réelle pour pouvoir formuler ces idées.  A débattre...Bref, à mon avis, David Eagleman est un peu trop pragmatique, un peu trop partisan du tout biologique. C'est la limite de son livre. Espérons qu'il apprenne à penser un peu contre lui-même...Ça n'enlève rien à son grand talent de vulgarisateur.

Avant chaque billet de blog, je tire la langue, j'ai l'impression de soulever des haltères avec mes neurones et ce que j'écris me semble lourd et laborieux. Puis je passe à autre chose, le dîner, promener le chien... Et quand je m'y remets, quelques heures après, ça va déjà mieux... Je tire toujours la langue, mais en général, j'ai trouvé une dynamique et l'écriture est plus fluide. Cela veut dire qu'après avoir amorcé mon cerveau "comme une pompe" , "ça" a travaillé dans une zone invisible....Voilà le genre de choses qu'explique ce livre. Avant d'oublier bien sûr et revenir à notre Umwelt...



Avez-vous remarqué que "de"était dactylographié deux fois ? 









Il suffit d'1 indice pour que cette image s'avère être celle...d'1 visage barbu. Les lumières des objets qui frappent nos rétines sont en général insuffisantes en elles-mêmes, en l'absence de prédiction de la part du cerveau, pour produire la vision.