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mardi 7 octobre 2014

Jean Dubuffet, colloque 1991



 Conférences et colloques. Galerie nationale du Jeu de Paume, 1992

Ce colloque fut organisé à la clôture de l'exposition "Jean Dubuffet, les dernières années", qui a attiré plus de 100 000 visiteurs au cours de l'été 1991.
C'est un livret de 110 pages divisé en trois parties:

  1. Dubuffet, écrits et écrivains
  2. Dubuffet et l'histoire de l'art
  3. Les dernières années

Il compte 15 articles. Le plus intéressant dans ce fascicule, c'est qu'il se situe quelques années après la mort du peintre, les gens présents l'ont souvent connu ou ont communiqué avec lui.
Florilège :
Michel Ragon :   Jean Dubuffet, sa relation aux écrivains libertaires. 
L'article commence par les lectures de Jean Dubuffet, un livre par semaine environ. Dans deux cahiers quadrillés, 263 livres sont annotés, commentés, entre 1980 et 1985.
A propos du Rivage des Syrtes: "lu 25 pages et abandonné"
De Tropismes de Nathalie Sarraute: "plat, oiseux, dénué de saveur".

Les auteurs qui retiennent le plus son attention (à la fin de sa vie) sont René Ehni, Milan Kundera, Leonardo Sciascia, Robert Walser, Kenneth White. Pour les classiques, Dickens est placé au-dessus de tout, mais il lit beaucoup Balzac, Cervantès et ne se lassera jamais de relire Cingria et Vialatte.

La seule grande admiration de Dubuffet, poursuivie jusqu'à la fin de sa vie, est une oeuvre écrite: celle de Louis-Ferdinand Céline.
« Dans la bibliothèque de Dubuffet, tout Céline, sous la couverture blanche de Gallimard.(...) On voit dans ses notes de lecture qu'il a relu Mort à crédit et Nord en 1982,qu'en 1984 il relit Mort à crédit et qu'en mai 1985, quelques jours avant sa mort, il reprend Nord, qu'il aime tant. »
Michel Ragon raconte les rapports entre les deux hommes, la relation inégalitaire
"Dubuffet se dépensa beaucoup pour Céline qui ne le paya guère en retour. Mais il excusait Céline, disant qu'il était encore plus hargneux que lui: " Qu'est-ce qu'il tient, lui, comme hargneux !"
Puis il parle des rencontres de Dubuffet avec Ludovic Massé, Henry Poulaille et de ses lectures d'écrivains anarchistes comme Max Stirner, des références à Pisarev, théoricien du nihilisme russe, à Bakounine.
Michel Ragon :
« Anarchiste individualiste, Dubuffet l'est sans aucun doute. N'a-t-il pas fait l'éloge de ce qu'il appelle "la sédition, la regimbe, la tête de cochon"? N'a-t-il pas toujours avoué son athéisme, son antimilitarisme, son antipatriotisme, sa haine de l'État policier ? N'a-t-il pas toujours prôné la subversion et l'objection ? »
Dubuffet a hésité entre la peinture et la littérature. Mais il finit par rejeter le langage comme "mauvais instrument":
 « Comme instrument de communication, il ne livre à la pensée qu'un cadavre; ce qu'est le mâchefer au feu. Et, comme instrument à penser, il alourdit le fluide, il le dénature. Je crois que la peinture, plus concrète que les mots écrits, est un instrument bien plus riche qu'eux pour communiquer la pensée et pour l'élaborer. »             

Dubuffet et Chaissac, de Didier Semin. On a déjà vu les rapports curieux entre les deux peintres dans ce billet.
« Le destin différent des deux artistes, le caractère passionnel des attachements à Chaissac, ont conduit souvent à imaginer Chaissac comme l'acteur malheureux d'une aventure écrite par Dubuffet: Dubuffet prêche pour les granges et les bistrots, mais c'est Chaissac qui accroche sous le préau des école - Dubuffet expose chez Pierre Matisse. »
Chaissac écrit une sorte de poème en prose où il voit en rêve Dubuffet dans la rue Vaugirard rebaptisée rue Dubuffet acheter une plaque de goudron dégoulinant...
De son coté , Dubuffet n'affronte jamais en face son confrère moins bien loti et lui réplique avec une ironie cruelle:
« Cette publication va procurer à tes travaux attentions et acheteurs, ce qui est d'un coté bien souhaitable, bien que ta position d'artiste pur comme un cristal et n'ayant jamais trempé le bout du doigt dans l'affreux commerce des productions d'art ni dans le plus affreux encore marécage des titres et honneurs , gloires et compétitions, soit peut-être en définitive plus précieuse qu'aucune autre position (...) La gloire posthume, voilà ce qui est à la rigueur souhaitable. Pas de gloire du tou, ni anthume ni posthume, c'est sans doute ce qu'un homme lucide doit vouloir. »
Si, pour le maladif et pauvre Chaissac, Dubuffet apparaît comme un artiste "en vue" et intégré socialement, reconnu par le milieu, Alan Bowness, dans son article Dubuffet et l'Angleterre, tempère cette célébrité en expliquant que Dubuffet se heurte à une hostilité quasi générale. Son marchand était Pierre Matisse à New York et, de 1947 à 1959, Dubuffet n'a montré ses créations récentes que dans cette galerie, et nulle part ailleurs.
A Londres , une exposition rétrospective en 1958 est un grand succès, tout est vendu, et Dubuffet influence l'art anglais " les artistes étaient au comble de l'excitation, ils le tenaient enfin, cet artiste majeur venant de Paris. " Après la guerre, son art prouve qu'on peut repartir de zéro comme si l'histoire de l'art n'avait pas existé.
 
 « Mais il fallait pour ce faire regarder l'art des enfants, celui des amateurs, des naïfs et même des malades mentaux et imiter leurs techniques; les graffitis, les gribouillages, les taches, les éclaboussures, les pâtes de peinture. »
Puis Bowness cite des artistes anglais influencés par Dubuffet: Turnbull, Paolozzi, peu connus en France.

Une table ronde constitue le quatrième article le plus intéressant car elle compte des amis et des fidèles de Jean Dubuffet: Noël Arnaud, Charles-André Chenu, Armande de Trentinian, Geneviève Bonnefoi, Alfred Pacquement et Valère Novarina.  

On apprend que, pour Chenu, les Texturologies sont quelque chose de taoïste, une sorte d'art de l'aléatoire. Avant d'être peintre, Dubuffet a étudié la calligraphie, on raconte qu'il allait place de la Concorde avec son petit tabouret pour étudier l'Obélisque.
Il y a avait toujours chez lui l'envie trouble d'être incompris. L'adhésion d'un vaste public l'incommodait car il aimait la contestation. Au point de reprendre dans son catalogue raisonné les injures faites à son oeuvre et les coupures de presse les plus dénigrantes.
Sur ses rapports avec Chaissac, ils disent qu'au fond il admirait grandement Chaissac d'avoir résisté au monde de l'art. Il a été affecté par les rumeurs sur leurs rapport alors qu'il a recopié à la main les lettres de Chaissac pour Hippobosque au bocage.
Daniel Abadie:
« (Ça) n'a jamais été un problème entre Chaissac et Dubuffet, mais un problème entre la veuve de Chaissac et Dubuffet. Camille Chaissac a ressenti très douloureusement la non-reconnaissance économique et sociale de Chaissac par-rapport à la reconnaissance spectaculaire dont bénéficiait Dubuffet. Elle a eu l'impression que Dubuffet en était responsable et en a conçu de l'amertume. Ce clivage a été amplifié par les clans amicaux...»

Anecdotique: quels étaient les rapports entre Dubuffet et le fameux faussaire Fernand Legros ? On a retrouvé son nom dans la correspondance de Dubuffet.  Ont-ils conclu un accord ?
Un petit bouquin vite lu qui permet de compléter le puzzle Dubuffet en attendant de s'atteler à la grosse biographie qui m'attend dans ma pile de livres à lire. Faut-il évoquer les travers gênants du peintre, qui n'ajoutent rien à la compréhension de l'oeuvre ? En effet, plus haut, j'ai censuré une phrase « L'école des cadavres a été si souvent relue que le livre est en miettes. » et j'ai mis trois petits points entre parenthèse. C'est une autre époque, mais il faut savoir, ne pas mettre sur un piédestal.



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