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mardi 16 décembre 2014

Les fantômes de la station orbitale

Solaris de Stanislaw Lem (1961) traduit du polonais par Jean-Michel Jasienko (Denoël)

Kris Kelvin, un psychologue, arrive par capsule dans la station orbitale qui tourne autour de la planète Solaris. Nous sommes à des années lumières du Système Solaire. Solaris a été découverte environ 100 ans avant la naissance de Kelvin, elle a engendré une littérature abondante de milliers d’ouvrages. Une grande bibliothèque qui sent le vieux bois lui est même dédiée au coeur du vaisseau spatial. Kelvin s’y sentira à l’aise, essayant de deviner le mystère de la planète en se plongeant dans des monographies anciennes, se nourrissant des théories de grands physiciens fascinés par Solaris. 

Kelvin raconte, à la première personne, ses premiers pas dans la station orbitale. On y croit, on s’y voit. 
Une inscription verte s'éclaira « ARRIVÉE »; la paroi de la capsule s'ouvrit. Le lit pneumatique me poussa légèrement dans le dos, de sorte que, pour ne pas tomber, je dus faire un pas en avant. Avec un sifflement étouffé, résigné, le scaphandre expira l’air de ses coussinets. J’étais libre. Je me trouvais sous un entonnoir argenté, aussi élevé que la nef d'une cathédrale. Des faisceaux de tuyaux de couleur descendaient le long des parois inclinées et disparaissaient dans des orifices arrondis . »

Il rencontre Snaut. L’homme est îvre et paraît cacher un secret. Il finit par avouer la mort de Gibarian, le scientifique qui a fait venir Kris Kelvin. Il tente de le mettre en garde: 

« Si tu voyais quelqu’un d'autre, tu comprends, quelqu'un qui ne serait ni moi, ni Sartorius, tu comprends, alors... »
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Kelvin investit sa chambre qu’il décrit précisément. Et puis ce sont les premiers contacts visuels, à travers le hublot, avec l’Océan qui recouvre la planète, ses crêtes de vagues énormes, les levers et les couchers des deux soleils, le rouge et le bleu, et les reflets écarlates qui remplissent sa chambre...Avant que la nuit tombe « La nuit me regardait, la nuit amorphe, aveugle, immense, sans frontières ».
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Comme un chat qui pense vous faire un cadeau quand il vous apporte une souris dans sa gueule, une des hypothèses formulée sera que l’Océan, cerveau protoplasmatique rangé dans la catégorie Métamorphe, fait des offrandes aux derniers hommes de la station orbitale. Comme s’il avait lu en eux, comme s’il s’était livré à des vivisections psychiques. 

« Généralement, tu es attendu à ton réveil, et il faut pourtant dormir de temps en temps ! »
« L’homme est parti à la découverte d’autres mondes, d’autres civilisations, sans avoir entièrement exploré ses propres abîmes, son labyrinthe de couloirs obscurs et de chambres secrètes, sans avoir percé le mystère des portes qu’il a lui-même condamné. »
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L’histoire de ce classique de la science-fiction est connue puisqu’il a donné deux films. On en sort avec de belles images dans la tête, une mélancolie du bout de l’univers. Lem excelle à rendre le malaise qu’on peut éprouver au contact d’une entité mystérieuse, hors-norme et pourtant totalement pacifique. Le contraste vient de là: les hommes de la station orbitale sont minés par leur psychisme, le retour matérialisé des fantômes de leur vie. Et les fantôme sentent ce malaise, jusqu’à être poussé au suicide, mais les fantômes peuvent-ils mourir ?

Fantastiques descriptions de l’Océan, longuement répertorié et analysé dans la littérature scientifique que compulse Kelvin, et qui a donné naissance à des mots comme mimoïde, longus. L’auteur décrit un organisme en perpétuelle transformation, parfois solide, parfois liquide, non agressif mais rendu dangereux par son imprévisibilité. Feuilleté bitumeux, pellicules, grappes piriformes, grumeaux, cratères, vagues, excroissances, bourgeons, l’océan se dilate, se tuméfie, gargouille, devient phosphorescent, opalescence, abîmes vertigineux...

Ces phases de descriptions et ces mises en abyme dans la littérature du passé forment un contrepoint méditatif au récit tragique de ce qui hante les trois habitants de ce disque d’un rayon de 100 mètres de diamètres. Beau roman de l’attente, du lointain, on en sort puissamment dépaysé. Et on comprend qu’il ait donné envie à des cinéastes. 


« Le soleil rouge avait disparu à l'horizon et l'océan était un désert sombre, moiré de lueurs mourantes, derniers reflets égarés parmi les longues crinières des vagues. Le ciel flamboyait. Des nuages à franges violacées traversaient ce monde rouge et noir, indiciblement lugubre. » p.77







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