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mercredi 27 mai 2015

La pluie à Rethel de Jean-Claude Pirotte

La pluie à Rethel  Jean-Claude Pirotte  (La petite Vermillion, 1982)  

Le plaisir subtil et doux amer de la mélancolie. 

J’ai beaucoup aimé ce récit de Jean-Claude Pirotte. Un homme est attablé et trace des phrases sur sa feuille. Il revisite son passé, les femmes qu’il a connu et qui se confondent. Ceux qui aiment Un homme qui dort de Perec peuvent prendre ce roman comme une sorte de suite qui se passerait dans le nord, à l’est du pays, en Belgique. Des instantanés qui parlent d’une vie sans fait saillant, sans intrigue. Il ne se passe presque rien. Le style soutient l’ensemble, le plaisir du mot. 

Vous vivrez dans le vent et les pluies de la mer. Vous écouterez les légendes liquides que chuchotent les agrès des voiliers échoués dans la brume, les nuits d’inquiétude frileuse et de bonheur plus vif. 

Mais le passé souvenu n’est pas le présent et l’écrivain, à sa table, est pris par le dégoût. 

« Je n’aime pas ces phrases qui se dévident grassement, je n’aime pas la saloperie de ces phrases nées dans une arrière-cuisine pisseuse, je n’aime pas la suie qui déferle en pluie sur le blanc des pages, et les transforme en torrents de boue noire, de lave refroidie, en écoulements d’humeurs glaireuses, en pustulences, en chiures poilues, et l’odeur insupportable des fermentations se répand autour de moi, m’étouffe, m’oppresse, cette odeur fétide de vieillard, de chicots, d’urine, de fornication, d’eau morte, de poubelle, de feuillée, de marube. »
C’est un homme qui s’appelle Vincent et qui pense que la vie est une somme d’absences multipliées par elles-mêmes à l’infini. Une vie nue et vide, une vie de pas perdus. Un homme qui regarde par la fenêtre et dit ce qu’il voit, ce qu’il ressent, il a mal à la jambe gauche. Il se détache de la fenêtre et se rassied. Il continue à écrire les mots étiques d’un quotidien qui se dépenaille de soir en soir
La galerie de taupe que l’on creuse, à l’aveuglette.

J’étais couché sur le ventre et le paysage valsait autour de moi comme les panneaux peints d’un manère de foire. 
Il remarque des détails comme les chatons de poussière, les appliques murales d’un salon octogonal. Il veut des femmes, mais n’est jamais vulgaire, il appelle ça: chercheur d’aubaines furtives. Plus tard, l’homme réalise que l’amour et la pluie, dans la chambre d’hôtel en face de la gare, ont conjugué des charmes puissants et dérisoires. 

Le dimanche, le passé rôde...
En gare de Nimègue, il a rencontré la blonde C...A moins que ce soit Mina ou la belle Virginia.Ils errent de frîche concertée en lande sablonneuse, de basses pinèdes en étendues de bruyères.  Il note la forme tourmentée d’un grand arbre, l’ondulation à peine perceptible d’un ressaut de terrain, le sillon noir et blanc d’un vol de pie ou l’appel perdu d’une voix dans un chemin creux...Il va marcher, trébucher, suivre la courbe du canal où deux péniches immobiles attendent la fin du monde. Un homme qui écrit qu’il ne peut pas se permettre de fantaisies aussi dispendieuse que l’envie de vivre. En 1982, Pirotte, l’avocat défroqué, est encore vivant pour encore plus de trente ans...

Chercher des images, patience de sourcier. Mais quelles images ? Quelle nappe d’eau fraîche découvrir sous les strates accumulées par l’indifférence universelle ? Je cherche des images, qui seraient mon musée d’Epinal à moi. 


En lisant ce texte de presque rien, j’avais envie de me le mettre en bouche, de le réciter...

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