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jeudi 18 août 2016

Règne animal



Règne animal

ISBN : 2070179699
Éditeur : GALLIMARD (2016)

Roman puissant. Envoyé par Gallimard via Babelio dans le cadre de la rentrée littéraire et qui donne envie de découvrir les autres livres de Jean-Baptiste Del Amo. 


Nous faisons connaissance avec une lignée d’êtres solitaires, hagards, qui coexistent dans une campagne française dure, une paysannerie à la fois fantasmée et documentée. Il y a Eléonore, son père, sa génitrice puis le cousin Marcel. 
Fantasmée quand l’auteur imagine les conditions de vie d’autrefois. Il y a des choses qui ne changent pas: le règne de la nature tout autour, résumée dans le titre du roman : Règne animal. Les futaies et les chênes centenaires, la terre, la sève, la pupe des arbres, les couches d’humus, les genêts, les centaurées, les nuits traversées par un filet de lune, les oiseaux qui s’égosillent, les nids de branchages enchevêtrés, les odeurs de bourbes, de limons et de nappes fossiles. 

Documentée avec le dernier chapitre du livre quand il décrit une agriculture productiviste qui court à sa perte, la course au rendement, les produits phytosanitaires qui contaminent les paysans : Lindane, antibiotiques, douvicides, vermifuges, anticoccidiens, neuroleptiques, vaccins, hormones « Où tout cela passe-t-il sinon dans la fosse à purin avant d’être déversé sur les terres ? »
Un roman de gens taiseux au-milieu d’une nature grouillante. Del Amo n’oublie presque personne de la ménagerie animale : les froissements d’aile des oiseaux invisibles, les pelotes de réjection des chats-huants, les chitines d’insectes et les mues translucides, les corbeaux freux, les jeunes corvidés, les larves de cercopes, le pis nourricier des vaches, les cloportes, les mollusques, un renard, les troupeaux de bétail du corps d’armée. 
 Et les chats, ceux de la ferme qui se dérobent et mastiquent les queues de lapin, parfois « psychopompe flegmatique ou sombre présage », mais aussi chaton bicéphale issu d’une lignée de félins incestueux et consanguins. 
Les chiens qui « clabaudent et mettent en fuite les sangliers qui quittent le sous-bois pour piller les terres de culture » Et le cochon, qu’il soit domestiqué et soumis à la torture de l’élevage intensif ou le cochon sauvage qui ira jusqu’à s’incarner en une bête mythologique. 
En lisant le livre, des visions s’imposent à l’esprit, je voyais les peintures de Dubuffet qui s’inspirent de la texture des choses, des terres. Je voyais les peintures de Courbet pour la représentation de la nature, l’enterrement à Ornans . Roman pictural, roman de la matière. 
J’ai aussi beaucoup pensé à St John Perse pour la langue. Il y a une croyance têtue à la puissance du mot rare, à la force du verbe pour redonner consistance au passé. Une époque révolue, autour de la Première guerre mondiale, tirée des limbes par la sémantique . 

 Une telle prose poétique vous nourrit et on est chaque jour content de s’immerger dans ce monde noir et cruel où les mots emportent le réel jusqu'aux limites du fantastique.  Le seul défaut du livre serait peut-être son ambition: le dernier chapitre pâtit du nombre de personnages, trop nombreux. Le roman est meilleur quand les êtres se réduisent à quelques figures comme dans les deux-cent première pages.